La Veille de presque tout, le nouveau roman de Víctor del Árbol, couronné en 2016 par le prestigieux prix Nadal, vient d’arriver entre nos mains et dans les librairies. Avouons que nous l’attendions avec impatience. L’auteur y développe une nouvelle fois des personnages et des vies qu’il sait explorer avec sensibilité
et expertise.
Le 07/07/2017 à 10:36 par Auteur invité
Publié le :
07/07/2017 à 10:36
Au fil de ses romans, le lecteur voit se construire une œuvre dans laquelle se croisent des personnages souvent aux prises avec l’histoire et leur passé. Il nous touche de façon indélébile avec ces êtres cabossés, mais volontaires et debout. Grâce à la complicité de son éditeur, Actes Sud, Víctor del Árbol a effectué au printemps 2017 une tournée pour rencontrer son public dans les librairies Initiales.
Víctor del Árbol – C’est dans l’histoire des personnages, je crois, que se cache la réponse : le destin existe-t-il comme tel, tout ce qui nit par nous arriver est-il écrit d’avance ? Cela signifierait que nous acceptons le fait d’être prédestinés et que le libre arbitre de l’être humain est une vue de l’esprit. Alors, la liberté individuelle n’aurait plus aucune valeur. Et moi, je refuse d’accepter un tel principe. Tout au long de La Veille de presque tout, j’essaie de montrer que les circonstances inattendues qui ont pu survenir, tout comme le passé, conditionnent notre façon de voir le monde et d’agir, mais qu’il existe la possibilité de transformer ledit passé et d’annuler sa charge. Face au poids du souvenir se posent l’espoir du désir et l’action du présent.
Víctor del Árbol – Ortega y Gasset, philosophe espagnol de référence, forgea le terme « homme historique » dans le sens où l’homme comme acteur de l’histoire est aussi victime de ce e dernière. L’histoire n’est pas un être abstrait, mais plutôt un être hypothétique : une interprétation des événements qui essaie de se fonder sur des principes scientifiques.
Cependant, nous, êtres humains, ne sommes pas hypothétiques, nous sommes objectivement réels, même si nos actes sont soumis à interprétation. Nous sommes une part active et en même temps passive de l’histoire. Protagonistes et victimes. Actifs en tant qu’individus soumis, reliés à un temps exact et à des circonstances déterminées. Et, en même temps, nous sommes en majorité des sujets passifs, du fait que nous ne pouvons pas directement influer sur le devenir des événements dans leur ensemble.
Par exemple : n’importe quel Espagnol en âge de prendre part à la guerre civile eut un rôle actif dans celle-ci, puisque la guerre devint quelque chose de quotidien et imposa une manière spéciale de penser, de percevoir et de vivre durant ces années. Pour chacun d’entre eux, la guerre signifia quelque chose de personnel et de déterminant. Mais en même temps, peu d’entre eux
pouvaient modifier les événements historiques, politiques, belliqueux, économiques majeurs qui furent la cause et la conséquence de l’e ondrement de la IIe République. La mémoire historique naît du résultat des deux sensibilités : l’histoire collective transformée en histoire individuelle. Comme narration de l’expérience personnelle.
Víctor del Árbol – Dans son livre De l’origine des espèces, Darwin parle de l’environnement physique comme source d’évolution. Moi, j’ai une vision un petit peu moins déterministe, et je donne aux espaces naturels de mes romans un versant plus psychologique. Je crois que le paysage sans regard n’existerait pas en tant que tel, ce serait quelque chose de neutre. Ce qui nuance le paysage, c’est le regard de l’être humain et ce regard est conditionné par les émotions.
Par conséquent, pour moi, les paysages sont le re et d’un état d’âme. Costa da Morte, le paysage où se déroule La Veille de presque tout, ne symbolise pas la même chose pour tous les personnages. Pour Germinal, il évoque le passé, pour Paola le futur possible, pour Daniel la magie, pour Dolores l’oubli et pour Mauricio l’exil. Et cependant, les vagues battent la même côte.
Víctor del Árbol – Je n’ai aucun attrait particulier pour les étiquettes ou les genres. À vrai dire, je ne me sens à l’aise dans aucune catégorie. Ma seule aspiration est d’atteindre le lecteur d’une façon directe, claire, sans renoncer pour cela à la trame ou au rythme narratif. Je suis un écrivain très impliqué émotionnellement dans ce que j’écris et je cherche cette même empathie chez le lecteur.
Mais il est bien certain que le roman noir permet un degré de proximité avec ce qui est concret, avec l’expérience du vécu qui va plus loin que les « théories » émotionnelles. Il descend dans le monde de l’évidence et s’éloigne de l’hyperbole. Il semble plus qu’évident que mes romans ne se classent pas dans ce que nous appellerions les romans policiers ou de suspense et d’énigme. Je ne prétends établir aucun jeu déductif avec le lecteur ; mon pari n’est pas un dé, mais plutôt une invitation.
Víctor del Árbol – En toute honnêteté et sans tomber dans la bassesse du super u. Je crois que la cruauté a du sens uniquement lorsqu’elle traverse l’épiderme du lecteur pour se loger dans son âme et l’égratigner. C’est seulement ainsi qu’il est possible de provoquer un changement. Par exemple : voir à la télévision ou lire dans un journal la mort d’un naufragé qui essaie d’atteindre la côte européenne peut causer un impact momentané très intense, mais qui s’atténue de par l’éloignement. Mais si on y a assisté en vrai, si on a tenu entre nos mains ce e personne, après l’avoir vue lutter pour ne pas s’étouffer, le souvenir sera indélébile.
Víctor del Árbol – Je crois sincèrement que l’homme avance vers la banalisation de la vie elle-même, en oubliant ce qu’elle a de miraculeux, d’étrange et de ce fait d’extraordinaire. Les horreurs de l’histoire se produisent toujours par l’inaction des indifférents. Ce qui fait le plus souffrir dans le mal, ce n’est pas le mal lui-même, mais plutôt le silence des justes. Par chance, dans notre nature la rébellion survit, l’avidité de liberté, l’amour envers ceux que nous sentons proches qui fera que nous les protégerons toujours et à tout prix. Peut-être qu’un jour, nous apprendrons que l’on vit mieux en faveur de l’homme que contre lui.
Entretien réalisé par Nadège Loublier, La Femme Renard (Montauban)
Traduit de l’espagnol par Delphine Vines
Victor del Arbol - La veille de presque tout - Actes Sud - Coll. Actes Noirs - 9782330072667 - 22.50€
en partenariat avec le réseau Initiales
Paru le 04/01/2017
320 pages
Actes Sud Editions
22,50 €
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