#RDVBDAmiens2023 – Rarement une librairie aura entretenu des liens si étroits avec un festival littéraire. Rarement, voire jamais, tant la relation entre les Rendez-vous de la Bande dessinée d’Amiens et Bulle en stock relève de la quasi-filiation. Si la manifestation inaugura sa première édition en juin 1996, la librairie, elle, avait ouvert en novembre de l’année précédente. Et son fondateur compte parmi les créateurs de l’événement : des bulles et des amis, CQFD.
Le 02/06/2023 à 22:01 par Nicolas Gary
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02/06/2023 à 22:01
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Dans un local de 50 m2, Somphon Upravan inaugure la première librairie spécialisée BD du département — et qui fut longtemps la seule de Picardie. Ce passionné compte quelques complices qui partagent son vice : les Rendez-vous de la Bande dessinée d’Amiens résulteront de cette envie commune de valoriser le 9e Art et de partager leur plaisir de la lecture – pourvu qu'elle contienne des cases.
Lui-même avait une première expérience du commerce dans une boutique proposant BD et disques. Si la culture accueille chacun indifféremment, dans un commerce, les produits accaparent la place disponible. Préférant les phylactères aux sillons, Somphon Upravan trace le sien, et fonde Bulle en stock. Nous sommes en novembre 1995.
L’année suivante, en juin, les RDVBD voient le jour. « À l’époque, j’en étais l’un des bénévoles », se souvient avec le sourire Laurent Marioni, aujourd’hui propriétaire d’une librairie qui a bien changé. « Somphon m’avait engagé dans la librairie, j’aidais à déplacer des cartons… Il m’a gardé alors que finissais un master de biologie cellulaire et physiologie. » Entre les cellules et les bulles, il fallait choisir.
Au fil des années, l’établissement s’agrandit : la surface passe à 130 m2, après des travaux d’agrandissement. Puis, en 2018, Laurent s’associe à Quentin Tissot, qui avait débuté en apprentissage, pour racheter les lieux. « Une évidence : il adore les mangas, je n’y connais rien. » Connaître les lieux et la clientèle ne suffit pas : encore faut-il s’approprier sa nouvelle demeure. « Nous avons réalisé plus de 100.000 € de travaux, pour la rendre surtout plus chaleureuse, plus accueillante — ne serait-ce qu’en changeant les lumières. »
La vitrine est refaite, le parquet, itou. Et le sort est coquin : « Mars 2020, confinemment, ça nous a coupé les jambes, même si l’on s’est très vite relevés. Novembre 2020, rebelote. » Entre-temps, les librairies étaient devenues des commerces essentiels, une décision salutaire. « Notre voisine tenait une boutique de fringues : la période Covid l’avait épuisée, elle tenait cela seule, alors elle a décidé de proposer une vente ou la location. » Triste aubaine : aubaine quand même.
Après quelques nouveaux travaux, Bulle en stock se dote d’un espace supplémentaire : « Nous avions gagné 90 m2, dont 70 ont été entièrement dédiés au manga. » Une modeste manière de présenter les choses : en entrant dans la librairie, on a littéralement le sentiment qu’une enseigne unique accueille en réalité deux librairies : l’une BD et comics, l’autre manga. À foison.
Désormais, l’équipe est constituée de onze salariés et trois apprentis. « Cet élargissement de notre offre éditorial, dès 2021, coïncide avec de nombreuses évolutions du marché », observe le cogérant. « En tant que membres de Canal BD, depuis toujours, on regarde les copains qui ouvrent de nouvelles boutiques consacrées au manga. Notre chance fut de récupérer les lieux au bon moment, juste avant l’explosion du marché. »
Les données GfK ne le contrediront pas : en 2022, 85 millions de BD et mangas ont trouvé lecteur en France, soit près de 921 millions €. Et encore : si le 9e Art pèse pour un quart du marché du livre, il a reculé de 3 % en regard de 2021… Mais le genre venu du Japon se démarque notablement : il représente une BD sur deux vendue. Mieux : six titres dans le top 10 des ventes sont des mangas. « Nous avons eu quelques années d’avance, et cela, c’est le génie de Quentin », concède Laurent Marioni sans peine.
Bien sûr, le Pass Culture qui aura tant poussé ce segment éditorial a participé à la réussite. « Certains collègues m’assurent que ce système a fait doublé leur chiffre d’affaires : pour nous, même si ce n’est évidemment pas négligeable, le Pass représente 5 à 6 % du CA. » Sur 2,85 millions € de CA en 2022 et un résultat net de 186 k €, pas négligeable, non, mais pas non plus un outil sur lequel trop compter.
Pour amorcer l’avenir, d’autres projets sont déjà à l’œuvre, comme la récente création de Label Geek (14 rue des Vergeaux, Amiens). « On en plaisante, parce que l’espace manga de Bulle en stock est très important, mais c’est véritablement notre seconde boutique. » Ouverte « pour se rapprocher du centre ville », elle est située à l’emplacement où se trouvait précédemment la franchise Shop for Geek, qui aura mis la clef sous la porte.
« Elle s’appelle Label Geek [NdR : j’ai proposé La Belle Geek, mais refusé : trop genré] et décline toute la culture geek, évidemment », poursuit Laurent Marioni. Manga, épicerie asiatique (on y trouve des cannettes Pokemon et autres, par exemple), ainsi que des figurines, des sabres. « Shop for Geek était spécialisé dans les figurines : nous avons repris leur stock, le bail et développons actuellement une identité nouvelle. » Notamment en ajoutant l’univers du Trading Card Game à l’offre : Pokemon et consorts ont une place de choix et des tournois de jeux de cartes seront prochainement organisés. Une offre complémentaire : disons plutôt, une présence de plus.
Les liens entre le festival d’Amiens et la librairie sont historiques, fraternels et bien plus encore. Bulle en stock a toujours pris part aux RDVBD. Maintenant que la manifestation a pris ses quartiers dans la Hall Freyssinet, Bulle en stock coordonne trois espaces de vente. « Il faut revenir à ce que nous sommes : des créateurs d’animations. Or, la Région Hauts-de-France nous propose une enveloppe de 5000 € en tant qu’aide à la diffusion de la lecture », explique, bien plus sérieusement, le gérant.
« Cet argent nous le réemployons pour rémunérer des auteurs, au tarif de la Charte, et créer de véritables événements dans nos murs. » Pourquoi ce détour ? « Pour mieux expliquer combien Bulle en stock a l’événementiel dans le sang : nous avons toujours été l’unique librairie partenaire des Rendez-vous. Mais nous prenons également part à une multitude d’autres petites manifestations sur le territoire, justement parce que nous nous inscrivons, dans une moindre mesure, dans le travail que fournit l’association On a marché sur la bulle [organisatrice des RDVBD, NdR]. »
L’engagement et l’investissement se traduisent de deux manières : dans la Hall Freyssinet, deux espaces librairies sont pleinement consacrés à la vente des livres des autrices et auteurs invités. Un troisième, découlant d’une proposition du Centre national du livre, élargit l’offre éditoriale, en proposant des ouvrages hors sélection festival. « Ici, nous avons organisé les espaces de vente en fonction des expositions, selon des répartitions qui s’adaptent pour ne pas être trop clivantes. Et surtout, en prenant en considération les tables de dédicaces où les autrices et autres se retrouveront. »
La scénographie de la Hall Freyssinet, conçue par Marc-Antoine Mathieu et son équipe, avait déjà apporté un mouvement, une ondulation, permettant de casser tendrement la sensation de distance — plus de 300 mètres de longueur. « En fluidifiant la circulation, ils ont proposé une solution que l’on reproduit désormais : la logistique demeure, car il y aura plus de 80 auteurs durant ce seul week-end à prendre en compte », transpire déjà Laurent Marioni.
Ainsi, les deux librairies « RDVBD » proposent les titres de l’ensemble des auteurs présents lors du premier week-end (3 et 4 juin) et du dernier, de clôture (24 et 25) — soit près de 150 invités. Et le troisième visant à ouvrir sur les univers du 9e Art compte lui-même 2500 références. « J’ai déjà commandé quelque 15.000 exemplaires. Et encore, sans avoir ceux du dernier week-end », poursuit-il, transpirant plus encore.
En 2022, Bulle en stock disposait d’un stock de plus de 20.000 exemplaires durant l’événement. Bien entendu, tous ne trouveront pas preneur. « L’an passé, on a eu des ruptures sur des titres, quand on ne s’y attendait pas. En premier lieu, nous assurons la disponibilité : s’il nous reste des titres, on s’arrangera. » En 2022, le libraire avait réalisé un chiffre d’affaires à six chiffres, montant sur lequel il reverse à l’association On a marché sur la bulle un pourcentage — étant lui-même impliqué dans la structure.
« L’an passé, j’ai travaillé 31 jours d'affilé sur le salon », calcule-t-il. « C’était dur. Je n’en regrette pas un seul. » Car l’événement rayonne bien plus que sur la seule agglomération d'Amiens : tout le territoire en profite.
À courir tant de lièvres, ne s’épuise-t-on pas ? Du tout, car les tenanciers des boutiques savent quel est leur cœur de métier : les livres, et plus encore les lecteurs. « Toute l’année s’opère une médiation, une communication circonstancielle pour les RDV, et régulière pour les éditions La Gouttière. Pour l’instant, apporter cette nouvelle dimension de figurine n’a pas grand intérêt pour la manifestation : il manque un espace dédié qui le justifierait. »
Bulle en stock l’observe comme bien d’autres : pendant que la BD progresse encore, que le comics — qui part de loin — continue de croître, le manga prédomine. « 55 % de notre chiffre d’affaires s’effectue sur les mangas, pour cette raison, nous travaillons sur des couvertures alternatives, avec les éditeurs, pour que la librairie dispose d’offres uniques. » Ce fut le cas avec Bravest Journey : seules six librairies commercialisent une édition très limitée. « Cela se développe en bonne intelligence : d’abord, en obtenant l’autorisation officielle des auteurs japonais », glisse-t-il, avec quelques délicats sous-entendus. « S’ils ne valident pas, on ne le fait pas. »
Or, le lectorat manga, toujours friand de goodies et d’offres spécifiques, accepte plus facilement des surcoûts pour détenir des objets spécifiques. « Je pense aux boîtes à thé qu’a fournies Ki-oon avec le dernier tome des Carnets de l’Apothicaire. Oui, pour les obtenir, les libraires devaient accepter une démarche commerciale et commander des exemplaires des titres précédents. Mais ce fut un succès phénoménal. » Et les boîtes à thé étaient offertes.
« Nous collaborons actuellement avec un éditeur, et on l’annoncera bientôt, à une édition spéciale : elle coûtera 10 € plus cher que la version grand public, mais nous y avons consacré un temps important, et avons particulièrement soigné le projet. » Si le moindre doute demeurait, regarder les ventes réalisées à travers le site internet les balaierait : « À 95 %, ce sont des mangas. Et cela représente près de 10 % de notre chiffre d’affaires total : nous avons deux personnes qui se consacrent à la vente en ligne. » Une activité loin d’être négligeable.
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Alors, oui, la perspective d’un prix unique des frais de port enthousiasmerait le gérant de Bulle en stock, si n’avait pas été introduite cette dérogation pour la gratuité, passés 35 € de commande. « Les gens achèteront plus, peut-être, pour en bénéficier », sur ce fameux site dont le nom commence par A et finit par mazon. « Personnellement, j’espère que certains se rendront compte que venir chez moi leur coûte moins cher. »
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
3 Commentaires
Bony
04/06/2023 à 09:50
Article très intéressant sur une librairie que j'affectionne, mais je n'ai pas bien compris en quoi elle est "engagée"... 🤔
Marie
04/06/2023 à 10:50
Il en faut pour tous les goûts, mais à la bonne heure, on parlera un peu moins, un temps,de la boutique artisanale au nom un peu trop pompeux mais mal sonnant.
Marie
06/06/2023 à 09:39
Il m'avait échappé, le jeu de mots titre, super, bravo !!
"Amiens vaut mieux que deux tu l'auras"...quoi?