Je profite de ce nouveau billet pour vous souhaiter, chères lectrices, chers lecteurs, un très joyeux Noël. J’espère que ce cher Santa, qui prend quelques jours de vacances bien méritées au pays des licornes, fut généreux et a répondu favorablement aux missives de vos bambins, vous évitant ainsi la crise de larmes hystérique du 25 au matin.
Le 26/12/2017 à 14:02 par La Licorne qui lit
Publié le :
26/12/2017 à 14:02
Quant à moi, en pleine phase de digestion – bien incapable de déployer mes ailes suite au festin préparé par mamlicorne – je suis douillettement installée dans ma bergère spéciale post-festivités, sirotant ma tisane détox gingembre-citron-églantier. Je ne sais pas s’il va de même pour vous, mais il me semble que cette période de fin (fin de quoi d’ailleurs ?) m’oblige inconsciemment à procéder à un petit bilan personnel.
Exercice introspectif relativement vain, puisque j’atteins inlassablement la même conclusion : j’essaierai de faire mieux l’année prochaine, je serai plus gentille avec les miens, je mangerai moins de fraises tagada et plus de brocolis, en résumé, je vais tout faire pour devenir une version améliorée de moi-même, bien que, soyons francs, je ne me situe pas bien loin de la perfection…
Presque parfaite donc, mais toujours à la recherche de l’équidé de mes rêves qui réussira à bouleverser mon petit cœur, à me faire renoncer à ma liberté si durement acquise et à me persuader définitivement qu’à deux on est plus fort, plus beau, plus intelligent, plus accompli ! Toujours à la recherche de mon Jim, à l’image de Géralde, nouvelle (non-)héroïne du dernier roman de Nicolas Fargues.
Comme moi, elle est une « relativement » jolie trentenaire qui se demande si on ne nous ment pas sur l’amour, « si le prince charmant n’est [au final] qu’un corps étranger, au sens médical du terme ? Et si le grand amour partagé, l’écho des cœurs, le don à deux, la danse en apesanteur, la complicité de l’implicite, la merveilleuse bienveillance : si toute cette bonbonnière de mots n’était au bout du compte qu’un fantasme de petite fille capricieuse et autocentrée ? » Et si la cause de ce célibat qui n’en finit pas, c’était elle, c’était moi, si le problème, c’était nous ? Alors, pour calmer cette « peur banale de la solitude », Géralde se lance tête (corne) baissée dans des contes auxquelles elle ne croit pas, s’enfonçant de son plein gré dans les sables mouvants de désastres amoureux annoncés.
Géralde et moi peinons à asséner immédiatement à ce pauvre type que l’on rencontre par hasard dans le métro « Ciao et à jamais galère-lover, embrouille ambulante », alors que l’on sait pertinemment qu’il finira par nous égratigner. Sur un malentendu, cela pourrait fonctionner, et honnêtement, qu’est-ce qu’on a à y perdre ? Ce type ne représente nullement l’homme de notre vie, le futur père de nos enfants, mais mieux vaut ces quelques semaines d’illusion de couple, de satisfaction, de normalité, que rien du tout… Mieux vaut quatre Jimmy que zéro Jim…
Paris, pause déjeuner dans un fast-food vietnamien : Géralde fait la connaissance de Pierce, beau spécimen masculin tout droit venu du pays des All Blacks, des moutons et des tatouages maoris. Suite logique, Géralde décide de quitter sa mère, ses copines, ses habitudes et s’envole pour la Nouvelle-Zélande faussement convaincue que cette fois-ci, ce sera la bonne. Le schéma se répète, Pierce n’est pas celui qui la réconciliera avec les hommes, qui lui fera oublier cette phobie de l’abandon, résultat d’une enfance marquée par l’absence d’un père qui l’achète au lieu de l’aimer.
Admettant cet énième échec et prête à faire le chemin en sens inverse, Géralde croise le chemin d’Hadrien Brach-Rousseau, aventurier reporter à qui elle va ouvrir sa porte qu’elle a résolument laissée close jusqu’à lui. Hadrien est beau, Hadrien voit la vie différemment, Hadrien la fait valser au coucher du soleil, Hadrien lui donne du plaisir. Hadrien fait vivre à Géralde tout « ce que toute femme amoureuse rêve de vivre : des sentiments sans cesse confirmés et régénérés par les faits ». Elle a raison, il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. Hadrien fait de Géralde une héroïne, l’héroïne de leur aventure… enfin c’est ce qu’elle a envie de croire.
Nous aussi, on a envie d’y croire. Nicolas Fargues dépeint avec vraisemblance, finesse et humour une jeune femme, française et camerounaise, frivole et profonde, dramatique et légère, adulte sexy et petite fille en quête de protection. Géralde c’est la good good woman de Toni Morrison, celle qui porte trois couronnes sur la tête : good food, good sex, good talk (Love 2003). Elle est le miroir de toutes les jeunes femmes de 2017 (2018) : dynamiques, coquettes, cultivées, indépendantes, véritables concentrés de qualités, qui pourtant ne voient pas les quatre as qu’elles ont dans leur jeu, qui pourtant ne réalisent pas qu’elles ont le pouvoir magique de rendre un homme heureux…
Alors, ce n’est pas ce petit acte de bravoure, qui certes lui octroie un éphémère moment de gloire en terres kiwis, qui transforme Géralde en une héroïne.
Non, Géralde n’a rien besoin de faire ou d’accomplir pour être une héroïne. De par sa simple naissance, sa condition de femme, son statut de représentante d’une minorité, elle est une héroïne. Tiraillée entre une éducation rigoureuse et son besoin d’émancipation, hésitant entre sa nécessité d’évasion et des racines qui l’empêchent d’échapper à son destin, troublée par le reflet de sa couleur de peau dans le regard des autres (j’acquiesce : moi, j’ai un petit air de Fluffy, et elle ressemble inexorablement à Lupita Nyong’o, raccourci malheureux, mais encore inévitable), Géralde met son existence en scène à coup de selfies et d’instantanés qu’elle poste sur Instagram accompagnés de citations de Duras, Baldwin, Yourcenar et Morrison.
À la question, Géralde trouvera-t-elle le bonheur, je ne peux vous donner de réponse définitive. Une chose est néanmoins certaine, elle continuera de prendre le risque de se tromper, car son histoire, elle « doit la vivre parce qu’elle n’est pas de celles qui peuvent se regretter », car « la vie c’est maintenant ».
À toutes les Géralde de l’univers, ne soufflez pas sur cette petite flamme d’espoir : votre Jim, il est là, pas loin, pas parfait, pas forcément beau comme Ryan Gosling, drôle comme Pierre Richard, intelligent comme Spinoza, puissant comme Obama et courageux comme Pesquet, mais il est là. Ne cessez pas de vous tenir droites et fières, de vous donner de l’importance et de vous considérer comme une priorité. Mais ne fermez pas la porte de votre cœur, car il y a de la place pour l’autre, votre autre. Sur ce, l’odeur de vin chaud et de dinde réchauffée titillant mes narines, je m’en vais me préparer un petit en-cas gourmand !
Je vous embrasse fort. Promis, je fais mon maximum pour revenir avant la fin de l’année…
(à paraître 4/01) Nicolas Fargues – Je ne suis pas une héroïne – Editions POL – 9782818044735 – 17 €
Paru le 04/01/2018
262 pages
P.O.L
17,00 €
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