La présence d'un livre autoédité disponible sur Amazon dans la première liste du Prix Renaudot, la violence des réactions après l'autopublication d'un livre par Samantha Bailly... Cette rentrée 2018 aura été marquée par l'irruption d'ouvrages autoédités dans une actualité littéraire qui leur est normalement quasi interdite, et de la réaction violente d'une partie des libraires, qui y voient là une menace pour leur marché. Jean-Yves Normant, fondateur de Bookelis.com, service d'autoédition, estime dans une tribune que l'autoédition et la librairie sont compatibles.
Le 16/11/2018 à 15:47 par Auteur invité
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16/11/2018 à 15:47
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Jean-Yves Normant
Fondateur de Bookelis.com
On se souvient de la virulente polémique engendrée en septembre par le livre autoédité de Marco Koskas qui faisait partie de la première sélection du prix Renaudot.
Le mois dernier, rebelote avec Samantha Bailly, présidente de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, pour un livre qu’elle avait décidé d’autoéditer en version numérique. Elle avait pourtant pris soin d’informer sur sa démarche et de préciser qu’elle ne comptait pas se limiter à un seul libraire. Elle a certes reçu une majorité de messages curieux et ouverts, mais aussi… des insultes d’une poignée de libraires offusqués qui ont manifestement réagi à chaud sans creuser la question.
Pourtant, l’autoédition et la librairie sont parfaitement compatibles.
Des auteurs confirmés et/ou célèbres utilisent désormais l’autoédition
Jean-Michel Apathie, Marco Koskas, l’économiste Marc Touati, Samantha Bailly et d’autres auteurs à la notoriété établie ou à l’expérience confirmée se lancent dans l’autoédition. C’est une tendance récente qui témoigne qu’une barrière psychologique est tombée.
On connaissait déjà les succès venant de l’autoédition et qui sont ensuite récupérés par des éditeurs. Ici c’est le contraire, des auteurs publiés traditionnellement vont vers l’autoédition.
Ce phénomène est intimement lié à celui des auteurs « hybrides » qui publient à la fois avec des éditeurs et en autoédition. Il est intéressant de constater que lorsqu’un auteur a gouté aux deux modes de publication il est rare qu’il en abandonne un par la suite. Presque tous continuent d’utiliser les deux.
Ils considèrent l’autoédition pour la liberté qu’elle offre. Quand on a subi les délais importants des éditeurs, leurs exigences diverses, des conditions financières serrées, ou un refus, elle présente bien des attraits.
Il s’agit aussi d’un moyen d’augmenter ses revenus. Dans un contexte de précarisation grandissante des auteurs, cela peut constituer une véritable bouffée d’oxygène.
Parmi les stratégies possibles : remettre en vente soi-même des titres qu’un éditeur a cessé d’exploiter ; tester sans risque des genres nouveaux ; publier dans un délai très court pour coller à un évènement…
L’autoédition est de plus en plus considérée comme un complément nécessaire à l’édition traditionnelle. Ce n’est pas un hasard si la Ligue des Auteurs Professionnels, créée en 2018 pour défendre les intérêts des auteurs du livre, accueille ouvertement les autoédités.
Malheureusement l’autoédition souffre encore d’une image réductrice
Le décalage est frappant entre ces évolutions majeures et l’image que les médias généralistes – et aussi de nombreux auteurs - véhiculent de l’autoédition. La plupart du temps Amazon et le livre numérique sont présentés comme l’unique solution existante. Il serait temps de sortir de ce malentendu qui ne peut que contribuer à alimenter inutilement les polémiques.
En réalité, des plateformes d’autoédition françaises permettent d’autoéditer avec une distribution globale : les livres sont disponibles à la commande non seulement à la Fnac, chez Cultura ou encore Decitre, mais aussi auprès des libraires indépendants.
Et cela pour les livres papier aussi bien que numériques.
Bookelis a été la première plateforme française à proposer une distribution globale dès 2013 en partenariat avec un grand distributeur. Une démarche qui s’inscrit dans une volonté de collaborer avec les libraires traditionnels.
Autre image propagée par des commentateurs trop pressés : l’autoédition serait un repaire d’auteurs de seconde zone qui ne parviennent pas à trouver un éditeur et veulent quand même publier à tout prix, poussés par un égo démesuré. C’est oublier les écrivains professionnels autoédités et tous ceux qui travaillent dur pour peaufiner leur écriture tout en se confrontant régulièrement aux lecteurs grâce à l’autoédition.
Il est temps de changer de disque et oublier une bonne fois le raisonnement: « si un livre n’a pas été publié par un éditeur, c’est qu’il est mauvais » ou la variante : « un bon livre trouvera forcément un éditeur ». Tout le monde sait que les éditeurs refusent des textes de qualité pour de multiples raisons.
De plus, du côté des auteurs l’ancien réflexe qui consistait à envoyer timidement son manuscrit à peine achevé à des éditeurs tend à disparaître. Il arrive régulièrement aujourd’hui que des textes soient autoédités sans avoir jamais été envoyés auparavant à des maisons d’édition. L’image d’Épinal de l’auteur attendant anxieusement le verdict de l’éditeur a du plomb dans l’aile.
Les libraires peuvent s’ouvrir davantage à l’autoédition
Il est incontestable que de nombreux libraires commercialisent des livres autoédités, nous le voyons tous les jours à travers les chiffres de ventes ; mais il est tout aussi vrai que d’autres refusent de le faire. Tout auteur indépendant a une anecdote à raconter sur le refus méprisant qu’un libraire lui a opposé un jour. En réaction, ces auteurs développent un sentiment de rejet et favorisent l’édition numérique ainsi que les ventes en ligne. Ils orientent leurs lecteurs vers internet. Puisque ces libraires les prennent de haut ils feront sans eux, et qu’on ne leur parle pas ensuite de soutien à la librairie… Ainsi des amalgames infondés entre « un » libraire méprisant et « tous » les libraires se propagent.
C’est aussi un problème de cohérence : ces libraires ne peuvent pas d’un côté se plaindre qu’un livre autopublié leur soit inaccessible car il se trouve en exclusivité sur internet, et d’un autre côté considérer de haut les auteurs indépendants.
S’il est évident que les libraires ne peuvent pas accueillir tous les livres en rayon (par manque de place, de temps ou parce qu’un livre ne leur convient pas), ne peut-on pas attendre d’eux qu’ils soient ouverts et accordent quelques minutes à un auteur qui leur présente son livre ? Si c’est un livre intéressant, il faut lui donner une chance. Si c’est un refus courtois, l’auteur l’acceptera volontiers.
Amis libraires, l’autoédition recèle de très bons livres qui méritent votre attention et vos tables. En vous ouvrant davantage à l’autoédition, vous éviterez par ailleurs de pousser des auteurs et leurs lecteurs vers internet.
Et les auteurs indépendants doivent professionnaliser leur démarche
Ce qui choque des libraires et donne lieu aux polémiques, ce n’est pas l’autoédition en elle-même, c’est que des auteurs se limitent à un seul site de vente, les excluant de facto du circuit.
La base des bons rapports commerciaux, c’est la réciprocité. Les auteurs ne peuvent pas d’un côté donner une exclusivité (même si elle ne concerne que l’ebook) à une plateforme et de l’autre côté demander à des libraires traditionnels de prendre leur livre en rayon.
Pour aller plus loin je propose même aux auteurs d’en faire un argument lors de leurs démarches : « je vous sollicite pour prendre mon livre en rayon, je n’ai accordé aucune exclusivité à une plateforme ».
Quelques rappels de bon sens également : les auteurs doivent avoir conscience que les libraires ne peuvent pas leur accorder beaucoup de temps. La présentation doit être concise. Il faut accepter sans insister un éventuel refus. Il faut aussi, insistons sur ce point, professionnaliser la distribution : les livres doivent être disponibles chez un distributeur pour faciliter les commandes.
Amis auteurs, avant de démarcher un libraire préparez-vous et prenez soin d’assimiler les bonnes pratiques.
Libraires et auteurs indépendants veulent la même chose : vendre des livres. Il y a moyen de s’entendre. Travaillons en bonne intelligence pour que l’autoédition se développe au bénéfice de tous.
Jean-Yves Normant
7 Commentaires
Paul P.
16/11/2018 à 23:39
Petits conseils aux auteurs autoedités qui souhaitent rencontrer un libraire conciliant:
- Choisissez votre moment.
Les libraires ont souvent peu de temps à eux en boutique (réception, mise en place, retours, conseils et visite des représentants). Venir pendant une période creuse est indispensable, le matin par exemple, plutôt que le samedi après-midi. Prendre rendez-vous est une option également et l'assurance d'un temps d'écoute satisfaisant.
- Venez avec un discours rodé et convainquant.
Les places sont chères sur les tables et les libraires subissent déjà les flots des éditeurs et de leurs commerciaux. Sachez vous vendre et racontez votre ouvrage succintement, ce qui ne va pas toujours de soi. Votre argumentaire de vente est décisif dans le choix du libraire.
- Venez avec un livre abouti.
J'entends par là un produit fini, avec une couverture attractive, le contenant étant aussi important que le contenu. Ayez un exemplaire disponible à faire lire (en physique ou numérique).
Le libraire à besoin de se projeter.
- Connaissez vos conditions commerciales.
Quel est le prix du livre? Quelle remise obtiendra le libraire? Quel est le circuit de distribution proposé (dépôt ou classique). Quelles sont les conditions de retour?
Le libraire est un commerçant, il a besoin de savoir ces choses.
Voilà, j'espère que cela aidera nos amis auteur qui ont le courage de passer nos portes pour défendre leur création.
Thoral Rul
17/11/2018 à 04:18
Je partage son avis.
Difficile pour les libraires de s'ouvrir (sauf localement), plus facile de vendre le livre d'un auteur de la ville.
Ce professionnaliser c'est pas pour autant facile, je vois certain livres indé avoir un rythme de sorti extrêmement lent, difficile de faire sa petite entreprise sans rien avoir à vendre. Le mécénat peut aider mais il faut quand même avoir une taille importante. Une réussite pour moi c'est Olydri Editions.
Depuis peu je passe de plus en plus souvent par la vente directe sur les sites de certains éditeurs qui améliorent aussi la rentabilité des projets (bon après faut grouper pour économiser sur les FDP). Mais c'est finalement très bénéfique pour tout le monde (plus saint qu'Amazon ou la FNAC et finalement tout aussi pratique).
Joseph Kochmann
19/11/2018 à 17:09
Merci pour cet article.
En tant qu’auteur indépendant qui travaille dur depuis plus de dix ans, c’est rafraîchissant de lire ce genre de discours.
Il y a tant de préjugés sur notre beau métier...
Je suis content qu’on commence un minimum à nous considérer.
J’aimerais d’ailleurs applaudir les sites comme SimplementPro qui nous permettent de rentrer directement en contact avec des chroniqueuses expérimentées. Je pense qu’il y a rarement meilleur moyen pour avoir des avis honnêtes.
Dommage, encore une fois, que certains libraires soient si fermés.
Même édité, on m’a trainé dans la boue, et ce, encore une fois, sans lire une ligne de mon travail.
Sûr que s’il n’y a pas de grands noms derrière comme Bragelonne...
Enfin bref... Je suis content au moins de voir les gens de plus en plus s’ouvrir.
D’ailleurs, je passe maintenant par Bookelis et j’en suis ravi. Bonnes critiques, bonnes ventes tout en restant très proche de mes lecteurs.
Didier Farcy
19/11/2018 à 18:16
Le problème est le même pour les auteurs publiés à compte d'auteur : les libraires ne font généralement pas l'effort de lire les ouvrages qui leur sont présentés et les auteurs doivent se battre au quotidien pour assurer une diffusion minimale de leur livre.
Paul P.
25/11/2018 à 12:37
Les libraires n'ont que trop peu de temps, devant deja absorber toute la production des gros éditeurs. Ça demande plus d'effort pour les petits qui doivent se montrer beaucoup plus persuasif.
Le jeu des conditions commerciales imposées aux libraires par les gros n'aide clairement pas l'autoedition à exister en magasin.
Melauteure
06/05/2020 à 14:46
Les libraires s'ouvrent un peu mais pas tous. Et certains sont ambigus quand on tente de les démarcher.
J'ai présenté mon 1er roman (édité par une petite maison d'édition, à compte d'éditeur mais en diffusion à la demande) à sa sortie à un libraire de ma ville mais quand quelques clients venaient pour le commander, ils n'étaient pas forcément bien reçus d'après les retours que j'ai eus...
Plus tard, j'ai découvert que ce même libraire organisait un salon du livre. Je l'ai donc contacté pour savoir s'il était possible de participer mais la réponse a été négative (je n'étais pas assez connue) et lorsque je lui ai dit que j'avais fait des dédicaces dans des magasins et que cela avait bien fonctionné, sa réponse a été : "Et pourquoi vous ne faites pas de dédicaces en librairie au lieu de le faire dans ce genre d'endroit ?"
Alors, quelques mois plus tard, j'ai retenté ma chance en allant de nouveau voir le libraire. J'ai à peine eu le temps de dire quoi que ce soit. Sa réponse a été : "Revenez nous voir quand vous aurez un vrai éditeur."
Alors que je fais tout pour passer par des libraires justement pour être auprès d'eux en tant qu'auteure, ce n'est pas très encourageant.
Philippe A
30/04/2023 à 11:56
L'intelligence des commerçants se limite à un seul aspect du mot.