Prêcher la chasteté est une incitation publique
à la contre-nature. Mépriser la vie sexuelle, la souiller
par la notion d’impureté, tel est le vrai péché
contre l’esprit sain de la vie.
Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist
Quand Allah a créé la terre, disait mon père,
il avait de bonnes raisons de séparer les hommes des femmes. L’ordre et l’harmonie n’existent que lorsque chaque groupe respecte les hudud (frontières). Toute transgression entraîne forcément anarchie et malheur. Mais les femmes ne pensaient qu’à transgresser les limites. Elles étaient obsédées par
le monde qui existait au-delà du portail. Elles fantasmaient,
se pavanaient dans des rues imaginaires.
Fatima Mernissi, Rêves de femmes
À la mémoire de Fatima Mernissi.
À ma tante Atika.
À toutes les femmes qui se sont confiées à moi.
Qu’elles en soient remerciées.
Lorsque j’ai publié mon premier roman, Dans le jardin de l’ogre (Gallimard), à l’été 2014, certains journalistes français se sont étonnés qu’une Marocaine puisse écrire un tel livre. Ils entendaient par là « un livre libre et sexuel », un livre trash et cru, qui raconte l’histoire d’une femme souffrant d’addiction au sexe. Comme si, culturellement, j’aurais dû être plus pudique, plus réservée. Comme si j’aurais dû me contenter d’écrire un livre érotique aux accents orientalistes, en digne descendante de Shéhérazade.
Pourtant, il me semble que les Maghrébins sont très bien placés pour aborder des thématiques liées à la douleur sexuelle, à la frustration ou à l’aliénation. Le fait de vivre ou d’avoir grandi dans des sociétés où la liberté sexuelle n’existe pas fait du sexe un objet d’obsession permanente. La sexualité est d’ailleurs une problématique très présente dans la création littéraire contemporaine. On la retrouve chez Mohamed Choukri, Tahar Ben Jelloun, Mohamed Leftah, Abdellah Taïa. La littérature érotique, sulfureuse même, continue de se réinventer notamment chez des femmes comme la Libanaise Joumana Haddad, la mystérieuse Nedjma ou bien la Syrienne Salwa Al Neimi, dont le livre, La Preuve par le miel, a été un succès de librairies.
Mon premier roman n’a donc rien d’une exception. Et je crois même pouvoir dire que ce n’est pas un hasard si j’ai construit un personnage comme Adèle : une femme frustrée, qui ment, qui mène une double vie. Une femme rongée par les remords et par sa propre hypocrisie. Une femme qui contourne les interdits et qui ne jouit pas. Adèle est, d’une certaine façon, une métaphore un peu extrême de la sexualité des jeunes femmes marocaines.
À l’occasion de la sortie de mon roman, j’ai tenu à faire une tournée au Maroc et à présenter mon livre dans différentes villes du royaume. Je me suis rendue dans des librairies, dans des facultés, dans des médiathèques. J’ai été invitée par des associations et des groupes de parole. Ces deux semaines de tournée ont été une véritable révélation. J’étais loin de me douter de la soif de débat chez ceux que j’allais rencontrer. À chacune de mes interventions, j’ai pu constater à quel point une rencontre autour de la sexualité passionnait le public et en particulier les jeunes. À l’issue des rencontres, de très nombreuses femmes sont venues vers moi avec le désir de parler, de me raconter leur histoire. Le roman a ceci de magique qu’il institue un rapport très intime entre l’écrivain et son lecteur et qu’il fait tomber les barrières de la pudeur ou de la méfiance. Avec elles, j’ai passé des heures extraordinaires.
Extraits
Commenter ce livre