En l'espace de quelques jours, le groupe Hachette, aux États-Unis, a annoncé puis annulé la parution des mémoires de Woody Allen, Apropos of Nothing. Des employés de la maison d'édition Grand Central Publishing et d'autres sociétés du groupe s'étaient mobilisés pour montrer leur désaccord, soutenant ceux qui dénonçaient la parution du livre dans un contexte d'accusations portées contre le réalisateur. Outre-Atlantique, l'inquiétude est de mise à propos d'une résurgence de la censure...
Le 10/03/2020 à 10:46 par Antoine Oury
Publié le :
10/03/2020 à 10:46
Il aura suffi de quelques jours au groupe Hachette, aux États-Unis, pour abandonner la publication du livre Apropos of Nothing, de Woody Allen. Après l'annonce de sa parution au mois d'avril prochain, de nombreuses réactions courroucées s'étaient fait entendre : Allen a été accusé d'agressions, y compris sexuelles, par sa fille adoptive Dylan Farrow, soutenue par son propre fils, Ronan Farrow.
Aussi, la parution des mémoires du réalisateur apparaissait comme une provocation, voire un manque de respect pour la victime présumée et, plus largement, pour les victimes d'agression sexuelle. Ronan Farrow, auteur d'une enquête sur le producteur Harvey Weinstein, accusé de viols et d'agressions sexuelles, se disait particulièrement déçu par le groupe Hachette, qui manquait d'éthique éditoriale, selon lui.
Le revirement du groupe lui donne un peu plus raison : la volte-face soudaine du groupe n'a pas été vraiment expliquée, d'autant plus que celui-ci défendait la parution quelques jours auparavant. Dans un message, Hachette assure qu'il « prend très au sérieux les relations avec les auteurs et nous n’annulons pas les livres à la légère. Nous avons fait paraître et continuerons, de nombreux ouvrages délicats. En tant qu’éditeurs nous nous assurons quotidiennement que dans notre travail, différentes voix et points de vue peuvent être entendus ».
La National Coalition Against Censorship (NCAC), un groupement d'associations américaines littéraires, religieuses, artistiques, ou encore de défense des libertés civiques, dénonce dans un communiqué une faiblesse de l'édition face à la censure.
Rappelant la publication des Versets sataniques de Salman Rushdie en 1988 par Viking Penguin, malgré une fatwa, et celle d'Ulysse de James Joyce par Random House dans les années 1920, la NCAC assure que « si les éditeurs abandonnent leur rôle contre la censure, alors nous faisons face à de vrais problèmes ».
Pour la NCAC, deux cas illustrent cette tendance : les mémoires de Woody Allen, donc, mais aussi l'annulation de la promotion du livre American Dirt, de Jeanine Cummins, par Flatiron Books. Ce dernier ouvrage mettait en scène une Mexicaine contrainte de fuir son pays pour échapper à la violence des cartels qui y sévissent, et qui se réfugie aux États-Unis : critiqué pour son traitement du sujet, visiblement peu informé, le livre avait acquis une mauvaise réputation auprès des auteurs et lecteurs latino-américains, qui appelaient au boycott de l'ouvrage.
Dans les deux cas, la censure semble surtout exercée par les éditeurs, et pas par une autorité extérieure, notamment politique ou religieuse. On pourra évoquer la censure populaire, mais celle-ci n'est appliquée que par les maisons d'édition, à partir de considérations commerciales et marketing...
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