ESSAI – Quand Gilles Pialoux a commencé son journal, lors de la première vague du coronavirus, se savait-il écrivain ? Il y en a lui des accents durassiens, des accents de Lettres d’amour en Somalie, Frédéric Mitterrand avait écrit cette phrase qui a marqué bon nombre d’entre nous : « Parfois, le désespoir est un sentiment calme ».
Le 09/11/2020 à 09:21 par Félicia-France Doumayrenc
1 Partages
Publié le :
09/11/2020 à 09:21
1
Partages
Le désespoir de Gilles Pialoux face à la crise sanitaire était alterné de précipitations, d’actions, de réflexions, d’interrogations entre vents, tempêtes, raz-de-marée. Il n’aurait pas pu tenir sans son calme, mais il n’aurait pas pu tenir non plus sans sa réactivité, sans ses compétences, sans son engagement.
Ce livre est poignant : c’est un journal qui commence le lundi 30 décembre 2019 au matin pour se finir le dimanche 31 mai à 20 heures. Évidemment, il raconte la dure réalité de cette pandémie de coronavirus qui a pris tout le monde de plein fouet et de court, nous a tous surpris, mis sur le ressac, il explique sa douleur, il raconte la réalité hospitalière, il raconte aussi ses émotions, ses appréhensions, ses sentiments, sa vision d’une humanité que peut-être encore il n’avait pas totalement découverte malgré ses longues recherches sur le sida.
Il est important de noter que le docteur Pialoux qui exerce à Tenon est un de nos plus grands spécialistes du sida, qu’il a assisté à des morts que l’on n’ose même plus décrire tant elles semblaient inhumaines, à des patients considérés comme des parias, rejetés et abandonnés à leur détresse de la même façon que lors du début de l’épidémie les patients sont morts seuls, ainsi décrit-il :
« La patiente dépistée Covid + est en fin de vie, victime d’un cancer du poumon métastasé. L’équipe et le médecin aux yeux bleus rougis l’ont suivie depuis le début de la maladie. C’est une déchirure pour les soignés comme pour les soignants. La dame part seule vers son unité de référence (…) Son médecin se déplacera un samedi après-midi pour lui apporter un peu de réconfort. Elle mourra quelques jours après, sans aucune visite de sa famille. Visites interdites pour cause de santé publique. Ou comment l’humain s’efface devant la prévention du plus grand nombre. Ce qui est sanitairement compréhensible est humainement insupportable. »
Gilles Pialoux montre dans ce livre ce que peut-être personne ne pouvait percevoir, ce que personne ne pouvait envisager ni sans doute dire. L’indicible, l’indicible souffrance à la fois des patients égarés, des médecins débordés et même parfois apeurés, du personnel soignant sans repères, étant dans la nécessité d’improviser, de s’engager, de travailler même contaminés.
Ce texte est sans nul doute un des plus beaux témoignages que nous pourrons lire sur cette première vague du coronavirus qui nous atteint une deuxième fois et encore de plein fouet. Ce « carnet de bord » est une ouverture, une ouverture et un appel. Une ouverture à la compréhension de ce qu’est un virus ? Qu’est-ce qu’une pandémie ? Qu’est-ce qu’une maladie quand il n’y a pas de traitement référent ? Quel est le rôle réel d’un soignant qui va devenir un accompagnant dans la mort ? Comment gérer une équipe ? Comment être au monde et rentrer chez soi et voir ses enfants avec la peur au ventre de les contaminer, mais il y a Yvette la nounou ivoirienne qui garde son « sourire en bandoulière ». (…)
« Elle prie pour notre salut depuis le début de cette pandémie. Cela nous fait du bien. Yvette chante le matin en pensant que les prières de l’Afrique vont épargner notre continent. (…) On a du mal à tamiser sa joie. Mais elle est porteuse d’énergies positives. »
Gilles Pialoux a su avec ses mots sans langue de bois (nous l’avons entendu et l’entendons encore sur les plateaux de télévision), ne jamais tricher. Il n’a jamais menti. Il a toujours été d’une clarté limpide. Ce texte est l’incontournable livre de cette crise mondiale du Coronavirus.
Gilles Pialoux est un écrivain qui jusqu’à maintenant, l’ignorait peut-être encore. Nous avons cette chance de pouvoir le lire. Nous avons cette chance, aussi, de savoir qu’il travaille avec toute son équipe à Tenon chaque jour pour continuer à sauver les nouvelles arrivées de patients. Nous savons son engagement, nous savons sa morale, nous savons son éthique.
L’auteur est remarquable, tous compliments donnés au médecin seraient bien en deçà de la vérité. Mais, c’est l’écrivain aux accents de Marlow, personnage de « Lord Jim » de Joseph Conrad, qui nous laisse sans voix et sur le relent.
Ce livre est aussi un plaidoyer pour l’hôpital public, un appel à la solidarité, un cri de détresse et d’amour. Ce texte est sans doute ce que j’ai lu de plus beau depuis le début de cette crise où des mots sont partis dans tous les sens, à l’emporte-pièce et parfois avec des emportements auxquels nous aurions préféré ne pas assister.
Je vous conseille Nous n’étions pas prêts, si vous voulez comprendre, être au cœur de la cellule de crise, au cœur de cette crise hospitalière, au cœur de la vie ô combien difficile de ces médecins qui ne lâchent rien pour nous sauver et se mettent à nu dans tous les sens du terme, qui ne comptent plus leurs heures, qui ne voient plus leur famille, qui risquent leur vie, n’oublions pas ce personnel soignant que nous applaudissions tous les soirs à 20 heures.
Oui, il faut livre ce livre, il faut lire ce journal de bord parce qu’il explique d’une façon claire, souvent dure, parfois crue le fil conducteur de l’ouvrage Nous n’étions pas prêts.
Ce n’est pas mon rôle de critique de porter un jugement sur les événements passés, mais je vous incite plus que vivement à vous plonger dans cet ouvrage où chaque mot est pesé, pensé, mesuré. « Ce carnet de bord par temps de coronavirus » vous marquera comme il m’a marquée. Je l’ai lu une première fois, je l’ai posé, puis une deuxième fois et je l’ai encore reposé. Je l’ai relu une troisième fois et toutes les émotions contenues dans ces mots me sont montées à la gorge et j’ai pleuré.
Je vous souhaite la même émotion et je remercie encore Gilles Pialoux d’avoir su se livrer avec autant d’humanité, mais aussi autant de pudeur et d’avoir su nous toucher au plus profond de notre âme. C’est un grand livre de la rentrée littéraire, ne passez pas à côté, je vous en prie.
Gilles Pialoux - Nous n’étions pas prêts ; Carnet de bord par temps de coronavirus – Lattès – 9782709666855 – 18 €
Paru le 19/08/2020
301 pages
Jean-Claude Lattès
18,00 €
Commenter cet article