Les vides greniers organisés chaque dimanche dans les bourgs berrichons sont une de mes distractions estivales: chiner une mazette fleurie ou un coquetier, marchander un meuble bancal et crasseux, farfouiller dans des piles de livres à l'affût d'un auteur ensablé... C'est ainsi qu'au milieu de romans de R. Sabatier, des San Antonio et des Editions du Fleuve Noir, je découvrais un broché jauni, aux pages mal massicotées datant de 1925. Le patronyme de l'auteur ne m'était pas inconnu Paul Lombard... A l'évidence, il s'agissait d'un homonyme. Il me paraissait hautement improbable que le célèbre avocat ait pu publier un roman en 1925. L'extrait du catalogue en quatrième de couverture (Colette, Barbusse, Dorgeles, Renard ..) et l'éditeur me parurent de bon aloi. Je marchandais ma trouvaille pour une dizaine de centimes d'euros.
Le 28/02/2016 à 09:00 par Les ensablés
Publié le :
28/02/2016 à 09:00
Par Elisabeth Guichard-Roche
Le récit démarre le 11 Novembre et décrit non sans humour l'attente de l'armistice par un aéro page de ministres et secrétaires d'état groupés autour du Président du conseil: attente fiévreuse à côté du télégraphe, communication téléphonique houleuse entre le Président et l'Etat Major. Soudain, une clameur immense et des coups de canon retentissent: l'armistice a été signé par le grand quartier général au grand dam du Président qui n'a pas donné son accord! "Le Président du Conseil prit tout le monde à témoin, et dans l'impossibilité de trouver une expression qui traduisît sa fureur, constata simplement: c'est insensé!".
Ce premier chapitre savoureux est aussi l'occasion de faire connaissance avec les personnages principaux: Le Horteur et Molinfatre, deux proches du Président que tout sépare et qui ne s'estiment guère. Le Horteur est un homme de 45 ans, au visage puissant qui a fait fortune dans les affaires, et s'est imposé durant la guerre comme l'homme providentiel en plaçant l'industrie au rang d'arme décisive. Molinfatre est "un petit être actif et original qu'une intelligence démesurée et une sensibilité haletante semblaient animer et consumer tour à tour". Alors qu'ils contemplent ensemble la foule parisienne célébrant la paix enfin retrouvée, les deux hommes se promettent la guerre et "se serrent la main en parfaits adversaires".
L'après-guerre permet à Monlinfatre de retrouver son poste de Directeur au Ministère des Affaires Étrangères. Travailleur et solitaire, il continue à faire partie des relations du couple Le Horteur. Il ne se montre d'ailleurs pas insensible aux charmes de Jacqueline, épouse du Horteur.
L'industriel qui a connu une ascension fulgurante avant guerre et durant le conflit, est confronté à des difficultés financières qu'une spéculation hasardeuse dans des concessions pétrolifères au Mexique va accélérer. Bien informé de par ses fonctions, Molinfatre est aux aguets et n'hésite pas à défier son adversaire: "Moi qui ai vu tant de choses, j'en suis encore à m'étonner de la rapidité avec laquelle l'homme politique contestable que vous avez êtes a tué le parfait industriel que vous fûtes". Le sort et la fortune du Horteur sont entre ses mains. Jacqueline l'a compris. Le Horteur va le découvrir brutalement. Alors que le couple donne une soirée masquée, Molinfatre s'en échappe pour repasser nuitamment au Quai d'Orsay. Ironique et menaçant, il téléphone à le Horteur. Puis, il diffuse la missive diplomatique dans laquelle la France reconnaît le gouvernement mexicain, ce qui met un terme à tout espoir de concession. Il scelle ainsi la faillite de son adversaire. Quelques heures plus tard, le Horteur est retrouvé mort à son domicile.
Le seconde partie du livre détaille la lente descente aux enfers de Molinfatre, rongé peu à peu par le poids du remords. Ses rapports avec Jacqueline se resserrent mais ils ne seront jamais amants. Radamastin, l'étrange homme de confiance du Horteur, le met particulièrement mal à l'aise, le renvoyant à l'image du défunt. Les visites à Mlle Choute - une bienheureuse péripatéticienne - ne parviennent plus à l'apaiser. Il fuit les miroirs, "La solitude dont il était autrefois si jaloux, lui fait maintenant horreur." La lecture des journaux le plonge dans les affres de sa responsabilité. L'affaire tourne au scandale politique et lui vaut d'être convoqué chez le Président du Conseil. Celui-ci parvient à le piéger quant à son rôle dans la transmission de la fameuse note et sa responsabilité dans le sort du Horteur. Une commission d'enquête est créée... Monlinfatre perd pied: "Pour la première fois, Molinfatre, planté au milieu de la rue, indifférent aux voiture, à la rumeur de Paris, à la vie même qui parut désormais lui importer peu et dont il avait l'impression d'avoir été brutalement retranché, se demanda: serais-je un monstre?". En proie aux insomnies, à une imagination exacerbée, à des phases d'excitation extrême, Molinfatre rompt brutalement avec Jacqueline et se retrouve, seul, face à lui même jusqu'à la chute."Le besoin de se disculper à ses propres yeux, de chercher un responsable, lui attira la protestation discrète mais ferme, de son remords. Il prit aussitôt une résolution catégorique".
La lecture de ces 250 pages s'avère assez déroutante. Le premier chapitre séduit mais il s'inscrit en décalage avec le reste du roman où la vie politique n'apparaît plus qu'en filigrane. Le passage relatif à l'envoi de la missive est assez confus: j'ai dû le relire à plusieurs reprises et y revenir lors de l'entretien entre Molinfatre et le Président du Conseil et lors de la commission d'enquête. Le personnage de Radamantin est intriguant mais on ne fait que le frôler restant sur l'envie de le mieux connaître. Les difficultés financières du Horteur relatées par Jacqueline demeurent assez obscures et la spéculation mexicaine se devine plus qu'elle n'est expliquée. Les passages rythmés et engageants alternent avec des longueurs pesantes où le style est d'une lourdeur rebutante: "Comme il liait la gerbe de ses réflexions avec la lassitude désespérée du moissonneur qui regarde, épouvanté, la plaine indéfinie et regorgeant de richesses, le soleil parut, théâtral, marbrant de tâches claires le sol souffreteux, comme le joueur appointé des casinos étale en un instant une mise sensationnelle pour donner à la partie qui se meurt l'illusion et la vie".
La chute de Molinfatre, objet des deux derniers chapitres, est brutale et presque bâclée: pourquoi la visite à l'Ancêtre (probablement le Président du Conseil du premier chapitre), quel lien entre le village de La Barre et Molinfatre, d'où viennent les souvenirs et légendes de l'étang des Humes, que se passe-t-il précisément au cours des quatre dernières lignes du livre? " Et comme elle mêlait, dans une seule image apaisante, le remords et l'amour, Molinfatre, pour la rejoindre, s'élança, les bras étendus, dans l'onde bondissante qui se referma".
Ces interrogations laissent le lecteur perplexe et désorienté, presque frustré alors même que l'évolution de Molinfatre vers la détresse et la dépression est attachante, poussant à tourner les pages quitte à parcourir certains passages plutôt que les lire.
Au total, un roman passable dont on ne s'étonne guère qu'il soit tombé dans l'oubli. Une phrase d'Henri de Montherlant l'illustre avec justesse. Reconnaissant qu'il n'avait guère lu plus de trois pages de Céline, il déclara: "ces trois pages m'ayant porté à penser que c'était là de la littérature aussi artificielle et aussi désuète que celle de Paul Alexis ou de Paul Lombard, écrivain au style "artisse" de la fin du 19 ème siècle et qui ne sera plus lu dans 50 ans".
Malaisé de trouver des informations sur Paul Lombard qui est aujourd'hui totalement ensablé et écrasé par la popularité de son homonyme, le célèbre ténor du barreau. Né en 1889, il est le fils du romancier Jean Lombard (l'Agonie en 1888, Byzance en 1890). Il fut Secrétaire Général et courriériste de l'Homme Libre. Il est l'auteur du Cabaret du Nervoso, de Contes de la mise en boite, du village en folie. Il publia également une grande enquête sur la mobilisation industrielle en cas de guerre et un petit traité de l'éloquence parlementaire. Pendant la 1ère guerre mondiale, il est Secrétaire Général et critique militaire à l'Oeuvre où débutent Radiguet et Mac Orlan. Après guerre, il contribue à Gringoire et publie plusieurs ouvrages politiques : Au Berceau du socialisme français (1932), Front Populaire (1936), Quatorze mois de démence l'expérience Léon Blum (1937), Les Chemins de Munich (1938-39), le Maréchal et l'Armistice (1943-44). En 1945, figurant sur la liste du CNE pour ses articles contre les alliés (Reynaud dans ses souvenirs indique que Lombard traita Churchill d'aventuriers et lui-même de coquin), il est frappé d'indignité nationale pour une durée de 5 ans. Il a été impossible de trouver la date de son décès.
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