Une conférence autour de l’art de Pierre Belvès est organisée ce 3 février à la médiathèque Françoise Sagan. A cette occasion, Caroline Belvès, sa collaboratrice, nous propose un texte paru originellement dans Mémoire d'images. Car c'est effectivement ainsi, en affûtant son regard, que Pierre lui aussi a découvert son chemin, sa passion à laquelle il allait destiner toute sa vie : l'Art.
Le 26/01/2018 à 16:50 par Auteur invité
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26/01/2018 à 16:50
Né dans un petit village de Dordogne, Issigeac, Pierre est le fils d'un artisan ferblantier : rien ne laissait prévoir que ce petit campagnard qui courrait les champs et les bois, qui participait aux moissons et aux vendanges, et n'a apprit le français qu'a l'âge de 5 ans, ce petit campagnard ferait de l'Art son leitmotiv.
On comprend que la proximité de la nature dans toute la splendeur de ses saisons et des travaux qui occupaient les hommes et les femmes à la travailler, on comprend que ce spectacle ne peut laisser indifférent une âme sensible, et chez Pierre c'est cette beauté pure et omniprésente qui va creuser son chemin dans son cœur et dans son esprit. Très tôt il perçoit les variations des couleurs, la magie de la lumière, le miracle de la vie : sa curiosité naturelle le pousse à explorer, a fouiller, à lire, à interroger, à dessiner et surtout à ouvrir grand les yeux.
La famille déménage à Paris et c'est à l'age de 11 ans que Pierre découvre Paris, c'est un vrai coup de foudre ! Cette ville regorge de trésors, de monuments, d'histoire et surtout de musées : et dès cet âge comme il en avait l'habitude à la campagne, il va arpenter les rues et les places, observant les métiers, la variété des habitants, leurs habitudes et rites, devenant ainsi un admirateur fou de Paris.
En 1920 les américains font don à la ville de Paris d'une bibliothèque consacrée aux enfants et a la jeunesse : la bibliothèque « L'heure joyeuse », un lieu qui stimule l'envie de lire et permet aux jeunes d'échanger sur des livres qui s'adressent à eux mais pas seulement : Pierre aime lire depuis l'enfance. Il fera de ce lieu béni un endroit d'étude et de rencontre.
Mais c'est au Louvre qu’il découvre sa voie : la beauté transfigurée par les artistes de toutes les époques l'impressionne au point qu'il décide lui aussi de tenter de suivre ce chemin : chercher, dénicher ce qui est beau même dans les endroits les plus improbables, dans le fourmillement du monde, et en faire quelque chose de personnel, une création qui donne à voir et à rêver. Il s'oriente donc vers les études d'art et entre à l' ENSAD école nationale supérieure des arts décoratifs de la ville de Paris, ou il apprendra son métier, celui de professeur.
Grâce à « L'heure joyeuse » il rencontre Paul Faucher qui est déjà bien impliqué dans l'édition pour la jeunesse et spécialement dans tout ce qui touche la « nouvelle éducation » : des liens d'amitié se tissent entre eux qui dureront toute leurs vies. Paul Faucher encourage Pierre dans son travail et lui présente un mécène, le comte Philipon. Celui-ci finance une partie des études et surtout des voyages en Espagne et en Provence, voyages qui vont permettre au jeune Pierre de compléter son éducation artistique et sa façon de peindre.
Après l'obtention des diplômes et le service militaire, Pierre retrouve Lucienne, rencontrée à l'heure joyeuse, ils se marient et auront deux enfants. Le couple s'installe à Lyon, Pierre est professeur de dessin au lycée du Parc, il adore son métier mais ça ne lui suffit pas, alors il installe dans les combles de l'immeuble ou ils habitent, un atelier de peintre. Il dessine, il peint autant qu'il peut, exposant avec son ami Claudius Petit et d’autres artistes. Il continue cependant d’être en relation avec Paul Faucher et toute la nouvelle mouvance de rénovation de la pédagogie.
Malheureusement la guerre arrive et il est envoyé sur le front italien ; même sous les drapeaux il ne cessera jamais de créer avec les moyens du bord, de petites créations comme les linogravures qui illustrent ses nombreuses lettres. Il entraîne ses camarades soldats à cet art modeste et accessible à tous, l'art est une consolation en temps de guerre.
Pendant l'occupation la famille se rend plusieurs fois à Forgeneuve dans le Limousin autour du « Père Castor » pour échafauder des projets pour la jeunesse : il faut révolutionner l'édition pour enfants et ce chantier est déjà en route.... avec N. Parrain, Rojankovsky, N. Antman, Y. Bilibine et d'autres. Son premier travail pour les éditions du Père Castor sera « la fête » en 1941, un découpage-montage qui encourage l'enfant à être acteur de son décor.
Puis en 1944 il crée les première frises historiques à colorier qui sont de véritables petits chef-d’œuvres sur fond noir à la manière russe ; les enfants les colorient, ou les peignent et découvrent la vie des personnages au dos de celle-ci. Pierre en créera une douzaine dont : l'hiver, le printemps, Jean Bart, Robinson Crusoé, Jacques Cartier, le football, etc... Il va également créer des coloriages qui doivent à la fois faire découvrir une partie du patrimoine de la France ou du monde et impliquer l'observation de l'enfant, ce seront les séries : saints de bois, faïences de France, Art paysan, céramiques populaires...
Les découpages s'adressent aux plus jeunes, dans un style épuré et simple, les formes géométriques doivent être facile à mémoriser et à reproduire, tout doit éduquer l'enfant en l'amusant.
Suivront les séries d' « Images lumineuses » qui permettent de fabriquer de petits vitraux en papier et carton : l'habileté de l'enfant va s'améliorer au fur et à mesure qu'il aura la satisfaction de réaliser lui-même un objet beau.
Il y a enfin les manuels de bricolage maison : le plâtre, la linogravure, la cartogravure, les coiffes de France.
Tout ce qui touche aux éditions du Père Castor inclue le souci de former l'enfant à discerner le beau, à s'en réjouir et à stimuler l'imagination : ceci dans un format adapté à l'enfant et à un prix abordable pour les parents.
La famille Belvès est maintenant installée à paris, Pierre a retrouvé « sa ville », ses rues, ses ponts, ses musées. Quand il va illustrer en 1949 « Les hommes de bonne volonté » de Jules Romain, il prendra un plaisir immense à créer les cartes des quartiers de Paris, les trajets des différents personnages : il représente les bouches de métro de Guimard, Montmartre, les Champs élysées comme les ruelles les plus pauvres.
A partir de cette époque il dessine de nombreuses illustrations pour le Père castor, dont : le petit poisson d'or, le roi qui ne pouvait éternuer, le tigre en bois etc...
C'est en 1950 que Pierre illustre un conte de Nadia Caputo « Roule galette » ; ce sera un succès qui dure toujours ! Plus de 65 ans après, l'histoire de cette petite galette roule toujours dans toutes les écoles maternelles ; les enseignants l'utilisent pour encourager l'observation, l'écoute et la narration par les enfants, le texte simple facile à retenir est accompagné des personnages et des animaux aux couleurs fraîches que Pierre Belvès donne à ses illustrations.
Pierre diversifie son travail, il dessine pour la publicité (SNCF, les Trois Quartiers,les régions, le salon de l'enfance, etc...) Il collabore aux livres scolaires de lecture (Michel et ses bêtes) de géographie ou d'atlas. Il s'approche de plus en plus de la totalité de l'environnement de l'enfant, et par là même en comprend les manques.
Les guides ODÉ l'envoie un mois en terres saintes pour dessiner et peindre ce qui illustrera leurs guides touristiques ; Il fera de même en Autriche, pays dont l'art populaire l'influence beaucoup dans les détails de ses dessins.
Il part en famille en Provence pour Flammarion qui l'a choisi pour mettre en image « Les lettres de mon moulin » d'Alphonse Daudet, ses illustrations exhaleront le thym, la lavande et le fond du caractère provençal ; 5 ans plus tard il y retournera pour « Tartarin de Tarascon » : là encore ses dessins disent le vrai de la région et amplifient la saveur du texte de Daudet.
Pierre s'intéresse à la transmission du goût et il sait bien qu'il faut initier les enfants dès le plus jeune âge, mais aussi continuer à les mener sur le chemin des grands artistes tout au long de l'adolescence. Son premier ouvrage dans ce sens s'intitule « Regarde ou les clés de l'Art ».... voilà ! il a résumé là sa grande intuition : le regard doit être éduqué, apprivoisé, entraîné dès l'enfance et tout au long de la vie.
Pierre Belvès va s'associer avec son ami François Matthey, conservateur au musée des Arts décoratifs, pour créer un premier livre d'Art destiné aux enfants : la qualité du texte de Matthey et la beauté des œuvres sélectionnées par P. Belvès vont en faire un succès : c'est la première fois qu'un livre d'Art est conçu spécialement pour la jeunesse. Il sera suivi de plusieurs autres : « Mon premier livre d'Art », « Portait d'animaux », « le monde merveilleux de l'art raconté aux jeunes », « beaux costumes à travers l'histoire de la peinture », etc... sans oublier les « Yeux ouverts sur l'Art », « les yeux ouverts sur la nature », « sur les beautés d'aujourd'hui », « Jésus par les grands imagiers »...et quelques autres. De nombreux titres sont traduit en anglais, italien et en coréen.
Son chemin de pédagogue s'est diversifié pendant toutes ces années. Après la guerre, avec le Père Castor, il participe à l'atelier, puis à la « petite école « du père castor où de nouvelles manières d'enseigner sont mises en pratique. Il donne des cours particuliers à des groupes d'enfants réunis par des parents sensibles au développement harmonieux de leurs enfants.
Et surtout il va ouvrir au Musée des Arts décoratifs de la rue de Rivoli à Paris le premier atelier de dessin pour enfants dans un musée : « l'atelier des moins de quinze ans ». C'est une petite révolution, les enfants peuvent arpenter les salles du musées, visiter les expositions temporaires avant de redescendre à l'atelier mettre sur le papier leur propre création : le succès est immédiat, les musées du monde entier vont envoyer des observateurs pour faire de même.
Ce sera « l'enfant chéri » de Pierre Belvès, le contact direct avec les jeunes qui désirent dessiner et peindre l'enchante, il a l'art de les captiver, de les mettre sur le chemin de l'imagination : il est adoré par ces enfants et son œil est consacré à ce qui pourra intéresser les jeunes et stimuler leurs créations. Lui qui a toujours été un très bon photographe va constituer d'énormes dossiers de diapositives destinées à faire voyager ses élèves dans l'art et les beautés du monde entier.
Sa passion pour les expositions et les musées le mènera à devenir critique d'art pour « La vie du rail » revue lue par des milliers de cheminots qui, avec lui, vont, eux aussi, découvrir toutes les facettes et les formes d'art : il pénètre ainsi dans bien des foyers, et donnera le goût de la beauté à de nombreuses familles.
Pierre Belvès, enfant de Dordogne, parisien d'adoption, aura réussi ce qu'il voulait depuis toujours : ouvrir les yeux des enfants qu'il rencontrait et leur donner pour toute leur vie le goût de la beauté...
Rendez-vous le 3 février à 16 h — Médiathèque Françoise Sagan, 8 rue Léon Schwartzenberg, Paris 10ème. Renseignements caroline.belves@outlook.fr
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