ROMAN FRANCOPHONE - D’emblée, il plantera le décor et posera les balises : autiste Asperger il est. Bien. Et alors? Alors vous aurez dans les mains Einstein, le sexe et moi, l’un des romans les plus drôles de la rentrée littéraire, et l’un des plus singuliers : et votre regard aura changé.
Le 06/09/2018 à 08:17 par Christine Barros
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Publié le :
06/09/2018 à 08:17
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De ces êtres qui paraissent étranges et incompréhensibles, la télévision française et ses jeux du cirque sont une formidable caisse de résonance. Lui, il a appris par coeur les réponses à 200 000 questions (oui vous avez bien compté deux fois les zéros, alors que lui vous récite la table de 75 les doigts dans le nez), révisé l’intégralité des noms latins découverts enfant avec sa mère lors de formidables randonnées botaniques. Alors, lorsqu'Olivier Liron se présente à Questions pour un Champion, rien d’étonnant à ce que ce soit pour gagner. Question d’honneur. Question de vie ou de mort.
Je me suis rempli la tête d’informations pour peupler ma solitude. pour oublier l‘essentiel, pour dompter l’absence et le chagrin. Comme si apprendre des milliers d’informations sans queue ni tête, peupler la mémoire était un réflexe de survie. »
Et comme il est tout de même mal aisé de nous inviter dans son cerveau, c’est dans son regard qu’il nous convie.
QPUC donc, pour les intimes, et Julien Lepers en guest star. Le romanesque absolu du personnage-animateur, niché dans l’inanité du commentaire ; les envolées lyriques, façon embardées sur route de montagne, les questions fondamentales sur la buse commune ou le baeckeoffe, les chorégraphies improbables d’un « pas chaloupé et très sexy qui doit ressembler à celui d’un unijambiste qui swingue sur Solitude de Duke Ellington », les braillements abstrus (« olé! » ), les couinements intempestifs (« Oh oui! Oui! Oui! ») et les enchaînements d’un funambule au dessus du grand Canyon.
Les autres candidats ne sont pas en reste, on croirait assister à un combat de coqs dans une arrière boutique mexicaine. La candidate accompagnée de ses corréligionnaires de la chorale, prompts à s’exclamer, applaudir et huer, le SuperChampion qui voit arriver le jeunot de loin, les tendus, les émotifs, les perdants d’avance, les perdus pour la cause.
Et lui de vouloir mordre, bouffer à pleine dents, casser la gueule à ces amateurs, dans des bouffées de haine incontrôlables, à la limite du passage à l'acte, mais tus, hormis dans sa tête qui hurle, lui qui a fait un art de sa mémoire ahurissante. Cette envie de leur casser la gueule, parce que là, pour la première fois, il ne se laissera pas marcher dessus.
©Lionel Samain, avec l'aimable autorisation d'Olivier Liron
Einstein le sexe et moi, c’est l’autoportrait sans fard d’un garçon devenu homme à force de maltraitances écolières épouvantables, qu’il vous narre comme on fait sauter la croute d’un genou écorché quand on a dix ans. Quite à ce que cela saigne encore un peu. Oui il fut maltraité, il le raconte sans ambages, mais avec une désarmante absence de pathos. Il vous confie les horreurs, la solitude et les gouffres avec des yeux innocents grand ouverts, tout en vous mettant la main sur l’épaule en vous demandant, « mais pourquoi tu pleures? »
C’est ce gamin d’un couple malheureux, c’est ce père dont il n’évoque qu’un souvenir. Ce sont ces femmes qu’il aime, ou qu’il aimerait aimer, tout embarrassé de ce corps qu’il regarde comme un animal étrange ( ahhhhhh la scène de « L’en-trop-peau l’eau git » ) dont il ne maîtrise ni l’énergie ni les pulsions, mais qui est soumis aux vertiges de son cerveau.
C’est une vie passée à s’ennuyer sans doute, beaucoup, à se savoir étrange aux yeux de ceux qui le regardent. Alors il vous prend par la main : « regarde, c’est ça, c’est pas grave, je t’explique ».
Ainsi que le dit son éditrice : « La succession frénétique des questions impulse le rythme, sa machine à souvenirs s’enclenche pour dévoiler son expérience du monde, de sa famille, de ses premières fois. »
Olivier Liron joue avec brio de ses lassos narratifs : les questions abstruses du jeu donnent lieu à des digressions aussi délicieuses qu’incongrues. Faites lui confiance : il vous racontera l’épopée du radeau KonTiki, la maison de retraite de sa grand mère, Twin Peaks, les arbres parisiens, Clovis, les 61 espèces de mésanges et Tchekov, entre deux questions, le tout dans un rythme étourdissant. Jamais vous ne saisissez le but du voyage, et vous revenez toujours à votre place, parce que oui, tout est très cohérent au final si l’on y songe bien. Effet boomerang garanti, servi par un sens de la formule ébouriffé.
Et l’une des réussites, et non des moindres, de ce texte est de tenir un suspense inattendu : alors que l’on connait la fin, et parce qu’il a eu l’excellente idée de ne concentrer son récit que sur une seule journée, il réussit le coup de force de faire naître une réelle montée en tension. Et de nous rendre au final la place et la définition exacte du spectateur.
Parce qu’il a l’art de la punchline, des enchaînements à la machette, du rire qui vous attend juste derrière l’angle de la rue que vous traversez avec lui : pas le choix, les mots sont ses remparts.
« C’est l’image juste. Exacte. Quand on ne peut pas parler, on construit des forteresses. Ma forteresse à moi est faite de poésie et de silence. Ma forteresse à moi est faite d’un long hurlement. Ma forteresse à moi est imprenable. Et j’en suis le prisonnier »
Ecrire est « une façon de survivre. Une alchimie étrange, une esquive, un boomerang, un renversement, un art de la prestidigitation, un monde où tout serait guérissable. Face à la violence du monde, que peut la littérature? ».
Jusqu’à croiser Mademoiselle Nishikori, danseuse de Buto de son état : la Merduse cachait bien son jeu.
« C’est l’inconvénient des histoires qui ne sont pas de la fiction ; elles sont bizarres et bancales comme le réel.» Et donc indispensables.
Olivier Liron - Einstein le sexe et moi - Editions Alma - 9782362792878 - 18 €
Paru le 06/09/2018
195 pages
Alma Editeur
18,00 €
2 Commentaires
Elodie Torrente
09/09/2018 à 18:39
Très envie de lire ce roman.
fanfanteau
09/09/2018 à 19:00
On lira Liron, c'est bon (pardon).
Parce que ... il a une tête de chien battu sur la photo et que ça réveille nos élans enfantins à ramener des pigeons moitié morts pour leur sauver la vie.
Parce que ... Waouh ça c'est de la chronique échevelée, livide je sais pas, au milieu des tempêtes c'est presque sûr.
Comme dirait ma plus du tout ado: "Ça envoie du lourd!"