Le 10 août 2019, le multi-millionaire Jeffrey Epstein, accusé de trafic sexuel de mineurs et d’avoir monté un véritable système, est retrouvé pendu dans la prison de New York où il est incarcéré. Visiblement, il s’agit d’un suicide avec un drap qu’il aurait accroché au montant de sa couchette. Mais certains, rapidement, en ont douté…
Le 26/01/2024 à 17:29 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
26/01/2024 à 17:29
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La justice américaine a récemment publié une liste de noms liés à Jeffrey Epstein : pas de surprise Chimbonda, à la limite Stephen Hawking, mais les anciens présidents Bill Clinton et Donald Trump, le sulfureux génie Woody Allen, etc.
Une certaine élite mondiale, en tout cas. Rappelons néanmoins que, par exemple, participer à une soirée organisée par le prédateur n’est pas commettre l’irréparable : à chacun le cercle jusqu’auquel il est descendu…
Cette affaire, selon le criminologue Xavier Raufer, soulève de nombreux éléments nimbés de mystères, ou révélateurs de la personnalité de Jeffrey Epstein.
Comment a-t-il embarqué et s'est-il baladé à bord de son Lolita Express avec de jeunes filles, parfois sans papiers d’identité, le tout en traversant des frontières ? Pourquoi a-t-il été accueilli à dix-sept reprises à la Maison Blanche, invité par Bill Clinton ? Comment a-t-il amassé des centaines de millions de dollars, lui le fils d’un employé des espaces verts de Brooklyn qui n’a pas terminé ses études, qui officia tout d'abord comme répétiteur dans une école privée pour enfants riches à New York, avant de fréquenter des hommes d'affaires ? Ses moyens devinrent soudainement énormes, de manière inexpliquée.
Selon l’auteur, cette situation s'explique en partie à cause de la complexité et du désordre des systèmes de contrôles fiscaux et policiers aux États-Unis. Les niveaux multiples de police et de justice, de l'échelon local au fédéral, créent un enchevêtrement si dense que même les enquêtes s'enlisent, bloquées par une multitude de pouvoirs et contre-pouvoirs. Un autre aspect intrigue : les médias américains qui ont enquêté sur Jeffrey Epstein n’ont trouvé aucune trace d’inspection de la bureaucratie américaine, afin de mieux comprendre ses affaires financières.
Plus qu’un amoureux des lolitas - jusqu'à 12-14 ans -, qu’il récupérait la plupart du temps dans la faune des marginaux de caravanes installées aux abords des villes, c’est le parcours d’un enfant de la classe moyenne devenu ami des plus grands de ce monde qui nous est raconté. Pour Xavier Raufer, ce prédateur aux centaines de victimes adolescentes a été, avant tout, un serviteur exemplaire, comme un ami des nouvelles élites transatlantiques.
Jeffrey Epstein, ce sont aussi de grands investissements pour promouvoir la pensée libertarienne, en partenariat avec les plus grandes universités de son pays. Une curieuse relation avec la fille du non moins puissant, bluffeur et sulfureux Robert Maxwell, lui-même mort dans des circonstances troubles, ou encore des relais français plus ou moins fortement supposés…
Le cas est trop vaste - des circonstances qui ont amené sa chute aux révélations induites par son parcours sur une Amérique dont il est l’ombre portée -, aussi se focalisera-t-on sur une dimension précise de l’affaire, son suicide. De l'avis médiatique général, il s’est donné la mort. Christophe Hondelatte par exemple, dans son émission d’Europe 1, est formel sur les circonstances de la mort : « La vérité, c'est qu'il manquait de personnel ce soir-là à la prison. Et il manquait d'hommes pour regarder les écrans vidéo. »
Aucun doute, donc ? Il rappelle tout de même qu’il s’agit d’« une prison fédérale de haute sécurité, supposée être surveillée 24 heures sur 24, et surtout, il y avait une caméra dans sa cellule, mais elle était en panne ». Et d’ajouter : « Autant vous dire que les complotistes se régalent. » Le grand procès de Jeffrey Epstein n’aura en tout cas pas lieu.
Xavier Raufer a enquêté sur cette mort à partir de sources officielles : son récit, qui se veut basé sur les seuls « faits connus, avérés, recoupés et vérifiables du document », est tout autre...
Ce que le criminologie dégage, c’est au minimum une série de graves dysfonctionnements qui ont conduit au second suicide du Metropolitan Correctional Center en près de 45 ans d’existence (le premier était déjà douteux). Installé à Manhattan, « Little Guantanamo » n'est pas destiné à l'exécution des peines, mais à la détention de personnes en attente de jugement. Le multi-millionnaire est installé dans le quartier de haute sécurité pour les VIP : y sont passés El Chapo, le Lord of War Victor Bout, le parrain de la famille Gambino, John Gotti, ou encore Bernard Madoff (coquille Bruno Madoff dans l’édition).
Un an avant, un audit de toutes les caméras assurait de leur bon fonctionnement. Durant ces 36 jours, entre le moment où Jeffrey Epstein entre et décède, des psychiatres évaluent régulièrement son état mental. Le détenu n’envisage pas le pire, pas le courage, et quand on grandit dans la tradition juive, explique-t-il à la toute fin juillet, on reste culturellement assez éloigné de cette idée.
Jeffrey aurait pourtant fait une première tentative de suicide : c’est du moins ce qu’affirma son co-détenu. Faux, riposta David Shoen, conseil d’Epstein : son client aurait été agressé par son camarade de cellule. « Terrifié, Jeffrey a préféré se taire et prétendre qu’il ne se souvenait de rien », raconta l’avocat en mars 2020 sur la chaîne Investigation Discovery.
Surprenant, les caméras, censées ne laisser aucun angle mort, jusqu’aux chiottes, sont en panne. Pratique, cela évite de s'appuyer sur d'incontestables images. Elles ont d’abord été présentées comme perdues, dans une suite de tergiversations des plus suspectes.
Le récit du codétenu primera : Epstein est officiellement un suicidaire. Dans ce cas, le règlement impose des visites de gardiens toutes les 30 minutes, comme la présence d’un compagnon de cellule. Après la précédente mésaventure, on remplace celui de Jeffrey, qui est déplacé la veille du 10 août… La nièce de son second camarade de cellule expliquera dans un entretien au New York Daily News, fin décembre, qu’Epstein était « rongé par l’obsession qu’il vaut mieux qu’il se tue plutôt que d’être tué par les matons ». Ces derniers « se préparaient à le faire », il en était persuadé. Un témoignage qui vaut ce qu’il vaut.
La mort d’Epstein se déroulera en tout cas sans témoins humains ni technologiques, les caméras étant « en panne cette nuit-là », encore, consigneront laconiquement les rapporteurs. Une troisième caméra est elle « inutilisable ». L’avocat général William Barr affirmera avoir réquisitionné les films d’autres appareils, afin de vérifier les mouvements dans l’étage, le couloir et la cellule cette nuit-là. Aucune suite.
Quand un détenu est retrouvé mort dans sa cellule, on classe la zone en scène de crime, selon la procédure. Ne toucher à rien, même la porte de la cellule, afin de préserver d'éventuelles empreintes. À l'intérieur, tout doit être rigoureusement photographié et filmé. Ici, les protocoles n'ont pas été suivis : les deux gardiens, censés effectuer des rondes régulières, ont passé quelques heures sur internet avant de dormir, expliquent-ils. Lorsqu'ils ont finalement inspecté la cellule vers 6h20 heures du matin, ils ont altéré les lieux.
Un duo de branquignols issus pourtant d'une unité d'élite de l'administration pénitentiaire fédérale, réputée pour son haut niveau de compétence et de professionnalisme. Pas vraiment le shérif ivre d’un bled de l’Arkansas et son bras droit ahuri…
Le frère de Jeffrey Epstein, trouvant les circonstances de sa mort suspectes, a consulté un médecin légiste renommé, le Dr. Michael Baden. La mort d'Epstein ne correspondrait pas à un suicide par pendaison : ses yeux étaient injectés de sang, un symptôme plus courant lors d'une strangulation. Trois os fracturés près de la pomme d'Adam - dits hyroïde et thyroïde droit et gauche -, ce qui est rare dans les cas de suicide par pendaison. Du jamais vu pour le médecin, mais fréquent dans les cas de strangulation, là encore. Enfin, aucune coloration violacée au bas des chevilles due à l'accumulation de sang n'est observée, comme dans les cas de suicide par pendaison.
Les draps qui auraient permis la pendaison ne convainquent pas le médecin légiste, en regard de la taille et du poids du détenu (1m83 et plus de 80kg). Plus surprenant : la présence d’au moins quatre câbles d'ordinateur dans la cellule – totalement interdite –, surtout dans celle d'une personne considérée comme suicidaire. Avec ces outils, se pendre aurait été plus aisé.
Il contredit ici radicalement les conclusions de sa consoeur, le Dr. Barbara Sampson : dans l'émission 60 minutes sur CBS le 5 janvier 2020, il déclare que Jeffrey Epstein a été probablement « étranglé avec un fil de fer ».
Les deux gardiens mis en cause risquaient jusqu’à 15 ans de prison ferme pour, entre autres, déni de mission et faux et usage de faux en écriture publique : les chefs d’inculpation furent abandonnés en échange de leur coopération à l’enquête et une centaine d'heures de travaux d'intérêt général. Leur supérieur fut transféré dans le Club Fed – référence au Club Med, version établissements pénitentiaires – et promu gardien-en-chef…
Un dernier aspect à mettre en évidence : un internaute du forum de toutes les conspirations, des aliens aux squelettes de géants, 4chan, annonce le premier, à 8h16, la mort de Jeffrey Epstein dans sa cellule, et recommande d'enregistrer son message, car il risquait de disparaître rapidement. L’homme de 66 ans a été déclaré cliniquement mort à 7h36.
Histoire pour les complotistes, peut-être, mais des figures comme le Prix Pulitzer Judith Miller ou celui qui était alors maire de New York, Bill de Blasio, se montrent rapidement dubitatifs.
Un des grands arguments contre la thèse de l’assassinat de Jeffrey Epstein reste le caractère invraisemblable de la vie, face à la vraisemblance forcée d’une certaine fiction. Le jour de la mort, le Prix Nobel d’Économie Paul Krugman tweete : « Si nous vivions dans un univers irréel et paranoïaque, je considérerais suspecte la fin de Jeffrey Epstein. Or toute cette affaire démontre que nous vivons dans un tel univers imaginaire. »
Le 11 juin 2022, lors d'une rencontre avec la presse, Chelsea Manning (ancienne analyste militaire ayant transmis des documents classifiés à Wikileaks en 2010, emprisonnée pour trahison, puis graciée par Barack Obama en 2017, avant d'être brièvement réincarcérée et finalement libérée en 2020 après une tentative de suicide) livre son opinion sur la mort de Jeffrey Epstein. Selon elle, il n'y a pas un suicide volontaire et programmé. Mais pas plus un assassinat ourdi par des dites comploteuses et redoutablement efficaces.
Il s'agit d'un homicide carcéral. « C'est comme cela, dit-elle, qu'on tue les gens en prison. Les gardiens veulent se débarrasser d'un détenu ? Ils commencent par débrancher les caméras de surveillance et finissent par falsifier les rapports. L'essentiel des brutalités et des meurtres est de leur fait. Ce sont eux les plus violents et les dangereux. En taule, tu vis la peur au ventre de ce qu'ils peuvent te faire. » Un avis autorisé qui mérite sans doute d'être médité.
- Extrait de Jeffrey Epstein, L'âme damnée de la IIIe culture, de Xavier Raufer
S’il s'agit bien d'un suicidé de trois balles dans le dos, afin d’empêcher le procès de l’homme d’affaires qui aimait un peu trop les trop jeunes filles, reste la grande question : pourquoi et pour qui ? Une réponse est aujourd’hui impossible à donner.
L’enquête de Xavier Raufer n’en demeure pas moins fouillée, riche, et fascinera les aficionados de toutes les grandes affaires non résolues.
Paru le 12/10/2023
277 pages
Cerf
22,00 €
1 Commentaire
Pierre la police
28/01/2024 à 14:51
Surpris que Tesson intéressé plus les commentateurs du dimanche que Tesson. Décidément, la France vieillit.