Juillet 2009. Dans la baie de Saint-Michel-en-Grève (Côtes-d’Armor), un accident survient : un vétérinaire et son cheval, en promenade sur la plage, s’enlisent dans des algues échouées. Bilan : le cheval meurt alors que son cavalier, fortement intoxiqué, fait un malaise et est transporté en urgence par les Services de Secours à l’hôpital de Lannion. Là, le médecin-urgentiste qui le prend en charge s’interroge.
Il se remémore un accident similaire qu’il avait eu à connaître vingt ans auparavant, en juillet 1989, au même endroit : un « joggeur qui avait disparu depuis trois jours […] a été retrouvé sur la plage de Saint-Michel-en-Grève […] totalement englué dans un amas d’algues vertes d’un mètre d’épaisseur ». Lorsqu’il avait voulu procéder à l’examen de la victime, il n’avait pas pu y parvenir, très fortement incommodé par des émanations délétères qui se dégageaient du sac dans lequel le corps du joggeur avait été enfermé ! Troublé et inquiet, il avait immédiatement demandé le transfert de la victime à Saint-Brieuc pour autopsie. Malgré des relances nombreuses auprès des instances judiciaires en charge du dossier, et jusqu’au Procureur de la République, aucun résultat ni aucune réponse d’ailleurs, ne lui a été fourni.
Il se remémore aussi juillet 1999. Même endroit ! Mêmes éléments ! Un promeneur fait un coma brutal dans la baie de Saint-Michel-en-Grève ! Il avait alors alerté vigoureusement les autorités sanitaires départementales, sans plus de résultat !
Et encore juillet 2008. Baie d’Hillion (Côtes-d’Armor également) : les deux chiens d’une jeune vétérinaire meurent sur un tapis d’algues sur la plage où elle les promenait. Considérant que la santé de ses chiens ne justifiait pas cette mort subite, elle fait réaliser un examen par le cabinet où elle travaille. Résultat : suspicion d’asphyxie. La gendarmerie ayant considéré son dépôt de plainte inutile, elle « décide de s’exprimer dans la presse » ! Ce qui déclenche une vigoureuse réaction de la Préfecture qui réfute abruptement l’implication des algues vertes et des émanations dues à leur décomposition dans le décès des deux chiens, allant jusqu’à « décrédibiliser [la vétérinaire qui] se retrouvait [alors] en position d’accusée » pour n’avoir pas respecté l’interdiction de promener ses chiens sur la plage…
Le médecin-urgentiste avait alors pris contact avec une association locale, « Halte aux algues vertes » dont le Président Ollivro se battait depuis quelques années déjà contre ces « marées vertes » polluantes qui s’avèrent donc être aussi mortelles.
En août 2009, peu après l’accident du cavalier et de son cheval, excédé par les pressions exercées sur lui pour qu’il se taise, par la décision de la Préfecture de soustraire le cadavre du cheval à une autopsie en l’envoyant à l’équarrissage sans consultation préalable de son propriétaire et par le refus des autorités sanitaires de prendre en considération son « alerte sur les risques graves de santé publique », le médecin-urgentiste décide de leur « coller toutes les associations écologiques sur le dos et [d’alerter] les médias ».
Suite à ce ramdam, fin août 2009, quatre ministres se rendent sur la plage de Saint-Michel-en-Grève : Chantal Jouano, alors secrétaire d’État à l’Écologie, y déclare demander une « expertise officielle à l’INERIS ».
En juin 2012, le Tribunal Administratif de Rennes conclut à l’absence de lien entre les algues vertes et la mort du cheval survenue trois ans plus tôt.
Jugement que la Cour d’Appel de Nantes invalidera en confirmant le lien avéré, tout en assortissant sa décision de compléments relevant du délire juridico-politique total…
…que je vous laisse le soin de lire et découvrir dans cette superbe bande dessinée, fruit du travail collectif d’Inès Léraud, journaliste indépendante qui, installée en Bretagne depuis 2015, a notamment réalisé un « Journal Breton » diffusé sur France Culture de 2016 à 2018 et Pierre Van Hove, illustrateur de presse et dessinateur pour l’édition jeunesse et la bande dessinée.
…lire et faire lire ! Car cette enquête remue des informations qui n’ont pas que l’odeur du sulfure d’hydrogène produit par la décomposition des algues (et pourtant cette odeur d’œuf pourri très caractéristique n’est pas très ragoûtante) !
C’est à une succession d’évènements graves que le lecteur assiste au fur et à mesure de l’enquête, qui mettent en évidence des conflits d’intérêt, des pressions occultes, des accointances tout aussi obscures et une préoccupation quant à la santé des populations largement dépassée par la magie de la manne liée du tourisme et l’influence souterraine d’une industrie agro-alimentaire qui se soucie plus de ses bénéfices que de tout le reste (y compris la vie des petits producteurs pris à la gorge dans un engrenage maléfique) : l’industrie, la politique, la justice et les services administratifs de l’État jouent des coudes et font front commun pour nier l’évidence et mettre des bâtons dans les roues à qui que ce soit ayant des velléités pour faire éclater une vérité qui dérange.
Et pendant ce temps, les collectivités dépensent des millions pour assurer l’enlèvement (incomplet du fait de l’accessibilité difficile de certaines zones d’échouage) des algues vertes qui continuent de proliférer sur le littoral, largement alimentées par des cours d’eau qui rejettent en mer des eaux dont les concentrations en nitrates sont considérables (parfois même au-delà des taux recommandés par l’OMS). Un coût évidemment supporté par les finances publiques et donc par le contribuable. Qui a ainsi la chance de subir la double peine : bénéficier d’un milieu pollué et payer pour assurer le traitement des désordres que cette pollution entraîne.
Alors, non content de faire œuvre de salut public en lisant et en faisant lire cet ouvrage tout à fait remarquable (et largement primé), profitez-en pour aller voir le film-documentaire éponyme qui suit avec beaucoup de fidélité le propos de la BD mais qui apporte, en plus, quelques précisions, compléments et images particulièrement édifiants !
Céline Salette, lumineuse, y joue une Inès Léraud criante de vérité. Particulièrement immergée dans son rôle, elle apporte beaucoup de crédibilité à tout ce travail de labourage incessant et profond pour cette lente exhumation de faits concordants et inquiétants qu’elle collecte micro à la main et magnétophone en bandoulière, alors qu’elle ressent, et perçoit parfois, cette surveillance malveillante qui rôde autour d’elle, alors qu’elle constate les revirements de girouettes d’élus et les menaces à peine voilées de certains interlocuteurs.
La BD et le film se complètent avec intérêt pour mettre en évidence les dysfonctionnements graves de tout le processus politico-adminitrativo-juridique autour de la prolifération de ces algues vertes qui perdure encore aujourd’hui.
Comme je le disais précédemment : à lire, relire, faire lire, offrir, faire découvrir… le plus largement possible.
Paru le 12/06/2019
160 pages
Delcourt
21,90 €
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