Voilà un ouvrage qui tombe à pic, au moment où notre pays connaît une crise politique importante, propre à remettre en cause le cours de nos institutions. Demain la Ve République ?, placé sous la direction de Hervé Gaymard, Président de la Fondation Charles de Gaulle et de Arnaud Teyssier, grand spécialiste de la question gaullienne, avec à leurs côtés une vingtaine de contributeurs du plus haut niveau en la matière.
Le 12/07/2022 à 15:16 par Jean-Luc Favre
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Publié le :
12/07/2022 à 15:16
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Un livre qui a le mérite de poser les bonnes questions en dressant un « inventaire » prospectif et clarifiant sur la conduite de nos institutions sans parti pris aucun, se voulant être d’abord un outil de réflexion en profondeur, plutôt qu’un plaidoyer intempestif et cautérisé pour les circonstances. Certes la figure tutélaire et emblématique du Général de Gaulle est omniprésente tout au long de l’ouvrage, sans pour autant être rébarbative et outrancièrement insistante.
La question étant essentiellement de savoir si soixante ans plus tard, la Constitution de 58 reste encore adaptée à l’évolution de la société française du XXIe siècle et dans quelles conditions ? « Crise de confiance dans les institutions ? Peut-être même désespérance démocratique ? Le phénomène est-il donc si grave ? Quelles en sont les causes les plus visibles ? » (P.15)
Pour Hervé Gaymard la réponse n’est pas aussi simple qu’elle n’y paraît, compte tenu du contexte national. Il observe d’ailleurs à cet égard une prudence de bon aloi. L’ancien ministre sait de quoi il en retourne de l’exercice du pouvoir au quotidien. Il ne suffit pas d’agir au nom du bien commun, mais aussi savoir penser juste. Anticiper parfois. L’erreur de gouvernance s’avère parfois fatale.
« Un gouvernement doit avoir les moyens d’agir –ne rencontre plus le même consensus qu’en 1958. D’une part d’autres « légitimités » s’affirment, face à elle, pourtant irréfutable, de l’élection : elles sont véhiculées par les réseaux sociaux qui sont trop souvent « un grand dégoût collecteur » ; comme aurait pu dire Péguy. En gros dès le lendemain de son élection, un élu n’est déjà plus légitimé… » (P.16)
Puis plus loin :
« C’est en fait l’amont de l’élaboration, de la discussion et du vote de la loi qui pose problème en France aujourd’hui. Ce que les élus locaux savent faire au plan local (comités de quartiers, projets citoyens, consultations de toutes sortes), n’existe pas au plan national. » (P.16)
Mais qu’en est-il de ce fameux « amont », expression singulière reconnaissons-le ou bien alors « transversale » ? que l’ancien ministre justifie. Soit une introspection plus concordante avec la réalité de notre pays, qui désormais doit tenir compte plus concrètement d’une France décentralisée et territorialisée ? Avec en arrière-plan l’idée d’un ancrage plus profond dans l’échelon de proximité.
De ce point de vue Hervé Gaymard en sait quelque chose lui qui a créée voici quelques années au sein de son département de la Savoie, un outil territorial novateur, modélisé et performant regroupant 43 communes, à la géographie et l’amplitude économique distinctes, qui considère que la consultation citoyenne à la base rend la méthode de gouvernance plus efficace et logiquement plus pérenne.
D’ailleurs Arnaud Teyssier semble vouloir abonder dans son sens en abordant de plain-pied la question de la « verticalité du pouvoir », que l’actuel Chef de l’État semble affectionner. « Pour De Gaulle, par-delà les Républiques, le président de la République doit assumer un rôle historique, celui de rassembleur et de guide de la nation. Ce rôle, il l’analyse et l’interprète à partir d’une relecture très personnelle de l’Histoire de la France et des Français… »(P.171) et bien qu’il ne faille pas en tirer des conclusions par trop hâtives.
La verticalité à la française a parfois du bon en maintenant une direction et un cadre à la politique générale de la France, en dehors de toute querelle partisane. En clair toujours se situer « au-dessus de la mêlée » afin d’être en mesure de prendre les bonnes décisions « engageantes ». De Gaulle avait déjà pensé cela, il en connaissait les écueils et les revers dans ses moindres recoins. Hervé Gaymard va plus avant quant à lui : « C’est pour cela que cette fameuse notion de “verticalité” ne doit pas être honteuse : elle traduit le lien direct entre la volonté populaire, que de Gaulle appelle souveraineté, et ceux qui gouvernent pour lui donner une traduction effective ». (P.24)
Or cette traduction n’est jamais tout à fait évidente, en raison du caractère même de l’interprétation des textes fondateurs avec à la clé souvent des débats inféconds, car ils ne traduisent précisément pas la pensée initiale de son promoteur originel. Fait de l’Histoire, ou plus certainement « paresse des intentions ? ». Au même titre qu’une souveraineté réversible (bien que toutefois récalcitrante) mise à mal, dont le filtre est désormais assujetti aux traités européens et internationaux entre autres.
La pyramide décisionnelle s’est complexifiée en moins de cinquante ans au cœur de ramifications planétaires devenues pour le moins obscures et si peu transparentes dans leur utilité fonctionnelle. Et ceci n’est certainement pas un hasard. On songe alors à la toute-puissance des GAFA, qu’Hervé Gaymard met à l’index.
Mais encore à son corps défendant comme pour inverser un cheminement paraissant irréversible dans les faits :
« Car la Ve République est, et reste dans son esprit même, un organisme vivant et puissant, qui comprend des garde-fous contre les dérives –celles qui ont conduit comme en 1940 à de véritables effondrements de civilisation. » (P.31)
Difficile cependant de se faire une idée précise de ce que vont être les trente prochaines années tant la planète réserve des surprises qui échappent à tout organe de décision directe, comme en témoigne encore tout récemment la crise sanitaire mondiale du COVID 19, d’ailleurs évoquée dans le présent ouvrage. Ainsi devra-t-on parler dans le futur « d’intuition politique », comme de Gaulle en son temps l’avait compris !
Plutôt que d’envisager sournoisement et un peu trop facilement un changement de régime, une VIe République mal fagotée que certains politiques prônent à tout va, ceci dit de manière quelque peu irréfléchie et par impuissance de légiférer adroitement. D’ailleurs une grande majorité des Français y est viscéralement hostile. Grand bien nous fasse. Le mal-être infortuné n’est jamais qu’un déni souterrain de l’Espoir, plus difficile à mettre en œuvre parce qu’il nécessite une énergie sans faille et une croyance en la nation de tous les instants, mais qui se veut dans le même temps un formidable rempart contre l’ignorance et la débâcle.
Un cercle vicieux en somme dans lequel les partis politiques semblent vouloir s’enfermer et s’enliser au mépris de la volonté des Français. L’abstention en est alors le pire exemple ! Mais le débat reste ouvert non ? Un ouvrage à découvrir absolument.
Paru le 17/02/2022
414 pages
Librairie Académique Perrin
23,00 €
1 Commentaire
aigle agile
14/07/2022 à 18:09
L’identité de la 5e République est celle d’un régime consacrant la suprématie du pouvoir exécutif
sur le pouvoir législatif. Et puisque la figure du président de la république en est la clé de voûte, il est intéressant d’avoir à l’esprit ce qu’écrit à son sujet l’historien Michel Winock dans son livre « L’élection présidentielle en France ». Au tout début de son existence constitutionnelle, entérinée par les députés de 1848, fondateurs de la 2e République, la fonction de président avait été pensée pour contrarier une éventuelle « menace socialiste ».
« Le Constituant de 1848, républicain de fraîche date, eut à cœur de balancer le risque de la démagogie parlementaire par un principe d’autorité, rappelant forcément la monarchie : ce serait le président de la République » (P. 10)
Le président Bonaparte, élu au suffrage universel, a en effet incarné pleinement ce « principe d’autorité », jusqu'à avoir procédé, trois ans après son élection, au coup d’État du 2 décembre 1851 qui devait marquer l’avénement du Second Empire et la fin de la république. L’obstruction d’une perspective révolutionnaire avait fonctionné mais avait emporté la république avec elle. Malgré ce coup de force, les Constituants des deux républiques suivantes ont maintenu la fonction de président de la république dans l’organigramme institutionnel, quoiqu’en ne lui accordant désormais plus qu’un rôle soumis au contrôle parlementaire.
« Contrairement aux vœux des républicains radicaux, la présidence de la République fût confirmée [par les lois constitutionnelles de 1875, fruit d’un compromis passé entre orléanistes et républicains modérés qui] décidèrent l’élection de ce président par le Congrès, c’est-à-dire la réunion de la Chambre des députés et du Sénat. » (P. 13)
Derrière les choix opérés par les Constituants de 1848 puis de 1875, s’anime un débat consistant à se poser la question de savoir quel pouvoir doit avoir l’ascendant sur l’autre : l’exécutif sur le législatif, comme en 1848 ; ou bien le législatif sur l’exécutif, comme en 1875.
À chaque période constituante son débat sur la question. Les députés de 1945, au moment de fonder la 4e République, confirmèrent la suprématie du pouvoir législatif. Le général De Gaulle, alors chef du gouvernement provisoire, aurait quant à lui souhaité renverser cette hiérarchie ; comme il devait le théoriser dans un discours de 1946, surnommé « Constitution de Bayeux ».
« Les Constituants rejetaient un pouvoir exécutif qui serait au-dessus du pouvoir législatif, et encore plus le principe d’un président élu au suffrage universel » (P. 14).
Cependant, treize ans plus tard, à la faveur du putsch d’Alger du 13 mai 1958, le général De Gaulle, qui n’occupait plus de fonction politique, s’est trouvé être mandaté par les députés pour réformer la constitution sur ordonnance et signer ainsi le retour de la primauté du pouvoir exécutif. La nouvelle Constitution entérinée, suite au référendum du 28 septembre 1958, le chef de l’État demeurait toutefois, encore à cet instant, élu par le Congrès, comme sous les deux républiques précédentes.
Mais l’attentat manqué du Petit-Clamart, survenu le 22 août 1962, et l’émotion que l’évènement a soulevée, a inspiré une révision constitutionnelle au président De Gaulle, sorti indemne. L’objet en était, précisément, de retirer l’élection du président de la république des mains du Congrès pour la placer dans celles du suffrage universel. Il s’est pour cela appuyé sur l’article 11 de sa Constitution :
« Le Président de la République, sur proposition du gouvernement pendant la durée des sessions parlementaires, ou sur proposition conjointe des deux assemblées, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics » (P. 20)
Le président du Sénat, Gaston Monnerville, soutint alors que le président de la République s’était rendu coupable de « forfaiture » en ouvrant cette procédure référendaire, illustrant, par le choix de ce terme fort, l’état d’esprit général des partis qui faisaient face au gaullisme. Ce « Cartel des Non » alla jusqu’à obtenir la censure du gouvernement le 5 octobre 1962 ; ce à quoi De Gaulle répondit par la prononciation de la dissolution de l’Assemblée nationale. Les députés avaient donc défait le Gouvernement, avant de subir le même sort par la volonté du président de la république qui, quant à lui, remporta son référendum le 28 octobre 1962, sans toutefois atteindre une majorité absolue d’électeurs inscrits. Et les législatives qui eurent lieu dans la foulée pour remplacer l’ancienne assemblée dissoute lui confièrent une large majorité de députés.
Comme en 1848, le président de la République, plus que jamais maintenu dans l’organigramme institutionnel, est depuis lors élu au suffrage universel.
Ce long détour par l’ouvrage de Michel Winock pour dire, puisqu’il est ici question de la 5e République, que ce régime n’est pas nécessairement « l’organisme puissant » qui faisait « consensus » vanté par Hervé Gaymard et Arnaud Teyssier dans l’extrait de leur livre mentionné dans cet article. La 5e République a soulevé de très fortes oppositions contre elles dès ses origines ; les « légitimités » qui s’affrontent n’ont strictement rien à voir avec celle des « réseaux sociaux » comme le sous-entendent les auteurs. Les débuts de la 5e République ont révélé plutôt un affrontement entre les tenants du pouvoir législatif et celui du pouvoir exécutif. Et sans doute également beaucoup moins d’habileté de la part des députés que venant du général De Gaulle, plus téméraire que ses opposants ; lesquels, à l’instar de François Mitterrand, ont d’ailleurs tôt fait de taire leurs critiques autrefois virulentes. Et, à bien y regarder, c’est de ces abandons de poste que la 5e République tient sa force. En réalité, elle n’est au fond qu’une constitution de circonstances qui doit son existence à deux évènements violents : le putsch d’Alger et l’attentat du Petit-Clamart.
À ce titre, il parait peu vraisemblable que l’organisation de cette république « algéro-clamartoise » soit encore pertinente aujourd’hui, si tant est qu’elle l’ait été un jour.