Coincé entre les quatre murs de sa cellule pénitentiaire, Cornelius Dark s’échappe par le pouvoir de l’imagination. Il lui suffit de visualiser un objet pour que disparaissent les cloisons de briques et qu’apparaisse autour de lui un monde tangible bien loin temporellement et géographiquement de sa geôle. Il vit alors des aventures fantastiques et poétiques dont les conclusions le ramènent indéfectiblement dans l’enceinte de la prison.
Le 17/03/2022 à 16:15 par Jean-Charles Andrieu de Levis
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17/03/2022 à 16:15
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Né en Uruguay, Alberto Breccia arrive dès ses trois ans en Argentine, pays dont on sait trop peu que la bande dessinée vit, dans les années 40 un véritable âge d’or. En effet, cette période enregistre une grande multiplicité de titres qui atteignent des tirages particulièrement conséquents (jusqu’à une chute brutale des publications au milieu des années 60). Cette effervescence artistique permet à de grands noms de s’épanouir à l’instar d’Hector Oesterheld, Hugo Pratt ou Alberto Breccia.
Ce dernier produit alors principalement des séries commerciales avant de développer des œuvres radicales, plastiquement engagées que l’on connait bien en France car publiées par les éditions Vertige Graphique : quel lecteur ne fut pas alors (et encore aujourd’hui) ébloui par les planches en peinture de Dracula, Dracul, Vlad? Bah (1982), par les collages des Mythes de Cthulhu (1973) ou encore les monotypes/collages/peintures du Rapport sur les aveugles (1991) ?
La soif d’expérimentation et les qualités intrinsèques de son œuvre ne laissent de fasciner et, malgré son décès voilà près de 30 ans maintenant, l’auteur continue encore aujourd’hui d’avoir une actualité florissante. Nous pensons notamment à l’exposition qui eut lieu au Pulp Festival en 2019, la passionnante étude de Laura Caraballo (tirée de sa thèse de doctorat) Alberto Breccia, le maître argentin insoumis publié chez PLG en 2019 également, puis le grand nombre de rééditions de ses œuvres (Perramus par Futuropolis ou Mort Cinder par Rackham).
Les éditions Revival s’inscrivent dans cette mise à l’honneur de ce maître de la bande dessinée en abordant son œuvre à travers des récits moins connus encore France et encore restés inédits : en 2019 sortait Qui a peur des contes de fées ?, superbe recueil d’adaptations de contes célèbres en peinture et collages, en 2021 Sherlock Times qui regroupe les planches de cette série essentielle à bien des égards, et enfin sort cette année Les mystérieux voyages de Cornelius Dark, récits sombres et virtuoses qui annoncent un grand nombre d’expérimentations plastiques à venir et une collaboration avec Carlos Trillo qui sera pour le moins fructueuse.
Cette démarche, particulièrement louable, permet de percevoir toute l’étendue du talent de Breccia et de ne pas le confiner aux quelques œuvres phares qui ont fait sa popularité sur l’hexagone : plus encore, elle confère une historicisation de ses planches et les inscrit dans une démarche auctoriale plus précise.
Mais au-delà de l’intérêt évident de ce livre, ces somptueuses planches délivrent un véritable plaisir de lecture caractéristique des meilleures historietas argentines de l’époque. En effet, Breccia et Trillo nous plongent dans des histoires fantastiques (cinq récits autonomes formulant un cycle complet) où le personnage principal se révèlera alternativement spectateur et acteur des drames qui se jouent sous ses yeux. Carlos Trillo introduit Cornelius Dark à divers instants marquant de l’histoire (avec un grand H) avec une étonnante attraction française. Il entraine ainsi le protagoniste dans des périodes captivantes en apportant l’humanité que les livres scolaires oblitèrent.
Cette atmosphère irréelle fait évidemment penser à Borges et à ses ambiances étranges semées de paradoxe qui font l’essence de ses nouvelles. Breccia déploie alors dans ses planches toute sa maestria et son appétit pour l’expérimentation : il utilise déjà des collages ainsi que des confrontations de matières qui incarnent particulièrement ces volutes de réalité fantasmée (mais l’est-elle vraiment) dans laquelle évolue Cornelius Dark. Les images restent en tête, retranscrivent à merveille l’aliénation de l’enfermement et les délires des déchainements humains. Les passions déchirent les âmes comme les encres déforment les corps en un tourbillon graphique vertigineux qui augure des plus belles images du dessinateur.
En continuant à défricher des œuvres méconnues d’Alberto Breccia, probablement un des plus grands auteurs de bande dessinée, les éditions Revival font histoire et prouvent, après la réédition d’auteurs majeurs comme Guy Colwell ou Massimo Mattioli, que certaines œuvres possèdent une force intrinsèque qui les rend intemporelles.
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