AVANT-CRITIQUE - Voici le deuxième roman d'Olivier Mak-Bouchard. Son premier roman, le Dit du Mistral, Prix Première Plume 2020, nous racontait la Provence avec son histoire, ses habitants, ses légendes. Ici, nous sommes toujours en Provence, mais à mi-chemin entre l'Anticipation et la Science-Fiction.
Le 10/02/2022 à 15:03 par Paroles de libraires
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10/02/2022 à 15:03
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Au début, tout parait normal, anodin, la vie de tous les jours, une petite vie calme et tranquille. Le narrateur est un jeune adolescent, un peu simple, un peu lent, qui observe et décrit tout ce qu'il voit, avec ses mots, son regard innocent.
Le roman se découpe en une succession de courts chapitres, comme des respirations, chacun nommé: le jour où...
« Le jour où les appareils photo n'ont plus marché du tout. »
« Le jour où le Nuage a été plein comme un œuf. »
« Le jour où j'ai fait la plus grosse bêtise de ma vie. »
49 chapitres divisés en trois parties: Les photons, les grêlons, les frelons, nous comprendrons peu à peu ce que cela veut dire.
Et donc, le livre démarre « le jour où les appareils photos n'ont plus marché du tout. »
Le jeune narrateur est ami d'enfance avec Jean-Jean, qui bégaie, est gentil comme tout, mais ne se laisse pas faire et rêve de devenir gendarme.
Il est aussi ami avec Gwendo, son amie anglaise venue vivre en Provence depuis deux ans. Lors d'une sortie scolaire, elle veut absolument prendre une photo avec le téléphone portable du narrateur, pourtant la prof a bien dit que c'est interdit. Mais Gwendo s'obstine et :
« Gwendo a regardé la photo sur l'écran pendant deux secondes et me l'a rendu en disant : “il est mort ton téléphone, tu peux le jeter à la poubelle...” j'ai vu la photo et j'ai compris ce qui clochait : l'Indien n'était pas dessus. Il y avait la rue, les maisons en bois, le cheval, mais dessus le canasson, personne. Pas d'Indien sur le cheval, pas d'Indien du tout. »
Le phénomène est mondial : les humains n’apparaissent plus sur les photos ! Les politiques, les présentateurs télé se perdent en conjecture, personne n'y comprend rien.
Au journal télévisé, suivi religieusement par le narrateur et sa mère devant un bol de Floraline, le présentateur, ou plutôt, le dessin du présentateur qui parle en voix-off, interviewe l'homme le plus riche du monde (celui qui a inventé les réseaux sociaux).
« On s'en est aperçus très vite, les gens nous ont signalé qu'ils avaient des problèmes avec leurs selfies et leurs posts... C'est là qu'on a observé un premier bug : des flux de données rentrent et sortent toujours dans le Nuage ; par contre, de la data reste coincée à l'intérieur...On dirait que le Nuage fait le difficile, qu'il est plein, qu'il choisit ce qui peut sortir ou pas... L'homme ne réfléchit plus la lumière. C'est comme si elle passait à travers nous. »
Au début, les gens ne se sentent pas trop concernés, cela va se réparer, pas d'inquiétude à avoir, pensent-ils.
Le présentateur du JT aime bien finir son journal par une note sympathique, positive :
« Une flashmob s'est déroulée grandeur nature ce matin à la gare de la Ciotat: des dizaines de comédiens en costume de la Belle Époque ont débarqué sur le quai, comme s'ils allaient monter dans le train »
Mais... ce ne sont pas des comédiens. Ces personnes sont perdues, attendent, ne connaissent même pas leur nom, ne parlent pas! Les gendarmes ne savent plus quoi faire ; trouble à l'ordre public, hop, on les enferme !
L'un deux se pose des questions, réfléchit et repense au premier film des frères Lumière: l'arrivée du train à la gare de la Ciotat! On regarde le film, on regarde les gens... ce sont les mêmes personnes !
Le présentateur du JT interviewe encore l'homme le plus riche du monde :
« Le Nuage nous crache dessus des micro-averses de data sauvage... Imaginez des grêlons qui tombent du Nuage : de la data a congelé à l'intérieur et maintenant elle est trop lourde pour y rester, alors elle chute... Ce ne sont pas des comédiens, ce ne sont pas non plus les gens qu'ont filmés vos frères Lumière il y a un siècle. Ce ne sont pas non plus leurs descendants. Non, rien de tout ça. Ils sont quelque chose d'autre, de nouveau, qu'on n'a jamais vu... Ce sont leurs Grêlons qui viennent de tomber du Nuage. »
Cela étonne, intéresse, fascine. Quelle personnalité va tomber ? Quel homme politique? Écrivain ?
Quand Arthur Rimbaud apparait c'est la folie, l'euphorie, on le presse de toutes parts, on veut des poèmes, des grandes phrases, des explications de texte ! Mais il ne dit rien, il est apathique.
Jean-Jean est devenu gendarme, Gwendo est rentrée à Londres, et notre narrateur a péniblement décroché son bac. Il devient animateur dans un centre de rééducation pour Grêlons de légionnaires ! Et oui, ils se prenaient en photo avant de partir au combat! La Légion est une grande famille, il faut les aider. Avec ses manières douces et ses jeux d'enfants, le narrateur a de très bons résultats d'illumination (terme employé par l'État quand le Grêlon sort de son apathie et recouvre son identité).
On lui envoie alors Arthur Rimbaud pour le soigner, rien n'y fait... jusqu'au jour où...
Les gouvernements, puis la population commencent à comprendre l'ampleur du phénomène, toutes les photos, les films, cela va aller crescendo, que faire de tous ces Grêlons ? Ils vont nous voler notre travail, vont nous envahir... Refrain bien connu! Et les Frelons entrent en scène. Des nouvelles lois sont promues, fichage, interdictions, embarquement vers une destination inconnue pour tous ceux du centre... Arthur Rimbaud arrive à fuir, mais le narrateur ne peut se résoudre à abandonner ses amis du centre.
Nous naviguons entre 1984, Fahrenheit 451, les réminiscences du nazisme.
Cette fable humaniste et politique nous questionne, nous prend aux tripes. Qui serions-nous?
Peter le narrateur qui, sous ses airs innocents, analyse tout et ne lâche rien ? Jean-Jean qui se venge de son bégaiement en montant en grade et mettant en œuvre toutes les nouvelles lois liberticides ? Gwendo, qui résiste et tente de sauver ceux qui peuvent l'être ?
Qui serions-nous ? Que ferions-nous? Et surtout, pourquoi n'agissons-nous pas dès maintenant ?
Lisez attentivement la note de l'éditeur et l'achevé d'imprimer, tout espoir n'est pas perdu.
Céline G., librairie Furet du Nord de Beauvais
Paru le 03/03/2022
340 pages
Le Tripode Editions
20,00 €
Paru le 20/08/2020
348 pages
Le Tripode Editions
19,00 €
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