Cette BD est le long récit d’un long voyage. Un voyage à pied ! Depuis la merveilleuse grotte ornée de Pech Merle (département du Lot, près de Cahors, sur la commune de Cabrerets) : si vous ne la connaissez pas, ne tardez pas à y aller ! C’est là que j’ai vu, pour la première fois, des mains en « négatif » dont je garde un souvenir ébloui, ineffable. Jusqu’à Bure (département de la Meuse, arrondissement de Bar-le-Duc), le site actuellement choisi par l’État pour enterrer, à grande profondeur, des déchets nucléaires à très forte radio-émissivité et à très longue demi-vie (diminution de moitié de l’activité nucléaire au bout d’environ 100.000 ans pour certains !).
Étienne Davodeau (qui est un récidiviste puisque, il y a une dizaine d’années, il a commis un ouvrage de taille similaire que je vous recommande, si vous ne l’avez déjà lu, Les Ignorants !) y raconte un périple assez phénoménal qu’il a entrepris, en marchant, pour relier ces deux points du territoire métropolitain ayant chacun, pour lui, valeur de symbole !
Au point de départ, des œuvres d’artistes qui, il y a près de 25.000 ans, ont orné une grotte d’œuvres d’art primordial d’une beauté suffocante, laissant aux générations futures (la nôtre puisque la grotte a été inventée par deux adolescents en 1922) un trésor fabuleux, un extraordinaire cadeau.
Dans l’émission de Daniel Fiévet Le temps d’un bivouac (France Inter, le 4 décembre dernier), Étienne Davodeau a expliqué comment, en visitant la grotte, il est « tombé amoureux d’un […] mammouth […] dessiné en quelques traits […] stylisés […] presque un croquis […] un mammouth qui marche » ! Il dit l’admiration profonde d’un professionnel face à l’incontestable chef-d’œuvre d’un non moins incontestable confrère. De nombreux confrères, d’ailleurs, puisque « des milliers d’années [séparent] deux dessins » : ceux des « mammouths » sont plus anciens de 5.000 ans environ que ceux des « chevaux » ! Ce qui veut dire que « des centaines de générations se sont succédé » en ce lieu exceptionnel. Plus de temps que ce qui nous sépare « des premiers Égyptiens » !
Mais alors que nous nous émerveillons devant ces splendeurs picturales que nos ancêtres Sapiens nous ont laissées, Étienne Davodeau s’interroge sur le legs qui sera le nôtre, celui de notre civilisation actuelle, à nos descendants dans vingt, cinquante, cent ou ceux cent mille ans ?
Son choix s’est alors porté sur un produit civilisationnel dont nous pouvons avoir la certitude, aujourd’hui, de sa pérennité sur de telles durées : le stockage des déchets nucléaires sur le site de Bure, au cœur d’une des régions les moins densément peuplées de France, localisation politico-technique arrêtée là après l’échec d’autres options pour lesquelles de fortes oppositions avaient immédiatement vu le jour. Un symbole, une antithèse, devenu l’autre bout de son périple !
Là-bas, l’argent, ce « lubrificateur social » que l’ANDRA (Agence Nationale pour la Gestion des Déchets Radioactifs) distribue largement pour faire passer la pilule, n’a pas totalement convaincu les populations et les élus locaux qui se sont aussi opposés au projet, d’abord seuls, puis, peu à peu, avec l’appui de gens qui n’avaient pourtant rien à gagner dans une bagarre avec l’État dont ils subissent, chaque jour depuis des années, les « pressions policières et juridiques ». Mais qui remettaient en cause ce diktat bien peu démocratiquement validé.
Etienne Davodeau a fait le choix libre et délibéré de ne donner la parole qu’à cette opposition, dans un livre à charge, militant et partisan, considérant que les forces en présence sont si totalement déséquilibrées qu’il n’était pas de son propos de donner encore un peu plus de visibilité aux discours lénifiants, peu démocratiques et, eux aussi, très partisans de l’ANDRA et des ronds-de-cuir du pouvoir centralisé.
Des discours qui oublient de faire la place au « droit du sol », non pas celui qui est bien connu pour opposer les peuples entre eux dans des guerres ou des affrontements excluant l’autre ! Non ! Le « Droit du Sol » a être protégé. Le « Sol » comme substrat indispensable à la vie. Celui qui, pollué, ne peut plus assurer cette vie. Ce sol qui est la source unique de notre alimentation. Ce sol, objet d’une rencontre centrale dans la narration de ce voyage quasi initiatique entre deux terres, deux terroirs qui ont pu laisser à Sapiens la chance de durer parce que, jusqu’à présent, nos ancêtres n’avaient jamais eu à leur disposition la capacité de le détruire comme nous le faisons aujourd’hui. À très grande échelle !
Qui, demain, aura encore envie de vivre avec, sous les pieds, des déchets dont la nocivité durera au-delà de temps concevables ? 100.000 ans, c’est 4 fois le temps écoulé depuis les premières fresques de Pech Merle. Dans 100.000 ans nos langages actuels n’existeront plus ! C’est un temps pour lequel nous ne savons pas comment les peuples qui vivront là (et qui ne seront assurément même plus français !) pourraient être informés, par nous, aujourd’hui, de la présence du risque induit par ces déchets ! Comment assurer la durabilité d’un tel message quand on sait que la ventilation du stockage, à 500 m de profondeur, doit être assurée en permanence. Sans interruption !?
Entre Pech Merle et Bure environ 800 km de marche, de GR en GR, quasi en solitaire. Quelques amis ont accompagné Étienne Davodeau pour un, deux ou trois jours ! Un temps long de réflexion. De communion avec ce sol si important pour lui et pour nous tous. De contemplation de notre terre et de l’espace infini qui lui sert d’écrin ! De rencontres au hasard des chemins, rares, et parfois inoubliables. De méditation sur Pech Merle, sur Bure, sur toutes les discussions et les échanges alimentés par des protagonistes diversement impliqués dans l’un ou l’autre des sujets qui le préoccupent. De préparation méticuleuse du contenu de cette BD qui en est le compte rendu !
J’ai dévoré ce livre avec admiration, avec envie (les fourmis dans les jambes), avec indignation (devant les pressions diverses exercées par un État qui est, quoi qu’on en dise et même s’il l’est beaucoup mois que beaucoup d’autres, fortement policier en ce sens qu’il refuse le débat, refuse la contestation face à laquelle il n’a d’autre réponse que la force policière), avec inquiétude (serons-nous capables de préserver pendant 25.000 ans ce que la nature a préservé pour nous, sur la même durée, dans toutes ces grottes ornées ? Mais aussi dans quel état allons-nous laisser à nos enfants, à nos petits-enfants, la Terre que nous leur avons empruntée ?). Je n’ai pas le courage de dire, avec espoir...
Lisez et faites lire ce livre : cette expérience en vaut la peine.
Paru le 06/10/2021
206 pages
Futuropolis Gallisol Editions
25,00 €
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