BONNES FEUILLES - Jeremie Brugidou, surtout connu comme réalisateur de film s’essaie à l’écriture dans son premier roman Ici, la Béringie, publié par les éditions de l’Ogre, qui sortira pour la rentrée littéraire. Au sein de ce récit qui lie le destin de trois protagonistes, il « [part] de la science, d’une perspective anthropologique et animiste, pour proposer une nouvelle lecture du monde par la fiction ». Le livre sortira en librairie le 19 août 2021.
Le 31/07/2021 à 07:19 par Victor De Sepausy
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31/07/2021 à 07:19
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Une plongée passionnante dans l’histoire et les mythes qui entourent le détroit de Béring
Dans Ici, la Béringie, trois personnages arpentent les paysages hallucinés de la Béringie : juste avant la guerre froide, Hushkins cherche les traces d’une Béringie émergée et habitée au milieu du chaos provoqué par les incursions américaines et soviétiques et la lutte nationaliste tchouktche. Il y a une quinzaine de milliers d’années, Sélhézé, une jeune Qui-Collectent, voit la mer envahir progressivement son environnement. Et dans un futur proche, alors que le Beringia Park est devenu une réalité, Jeanne, une archéologue, cherche son frère disparu en même temps qu’elle dirige les chantiers de fouille du permafrost. Malgré les milliers d’années qui les séparent, ces trois destins sont intimement liés, et portent en eux la solution de l’énigme de la Béringie.
Avec ce premier roman, Jeremie Brugidou réussit quelque chose de rare : partir de la science, d’une perspective anthropologique et animiste, pour proposer une nouvelle lecture du monde par la fiction. En partant d’un terrain anthropologique impossible, il prend à rebours le récit d’exploration, remet en cause le regard que nous portons sur un territoire et sur ses habitants. Il explore le rapport que les peuples de Béringie, quelle que soit l’époque, entretiennent avec leur environnement pour nous amener à réaliser sa troublante proximité avec les problématiques écologiques actuelles.
Jeremie Brugidou nous donne ainsi accès à un univers sauvage, mystérieux et mythologique, traversé d’immenses variations, transformations de géant comme bouleversements minuscules, et sujet de volontés contradictoires, entre tentative de préservation par l’étude du vivant, défense des populations locales et exploitation commerciale.
Car en Béringie, l’épopée humaine embrasse la mue du Détroit, aussi bien politique (l’exploitation de ces ressources, sa position géostratégique et les combats de ces habitants contre sa destruction) que géologique (espace entre terre et mer, immergé et émergé à de nombreuses reprises, aujourd’hui en profonde mutation en lien avec la fonte du permafrost).
L’auteur interroge le rapport que nous entretenons au vivant, aux espèces qui nous entourent, aux histoires qu’elles nous racontent. C’est en ce sens un texte très contemporain et politique, qui accompagne et prolonge les interrogations de Philippe Descola, Nastassja Martin, ou Baptise Morizot.
Ici, la Béringie reprend les codes du récit d’exploration et du carnet de terrain anthropologique, et interroge les relations que nous entretenons avec le vivant à l’heure où les bouleversements climatiques nous rapprochent plus que jamais des Tchouktches, derniers habitants de cette terre fantôme qu’est la Béringie.
La Béringie est une Atlantide, un territoire disparu qui sommeille aujourd’hui dans les profondeurs du détroit de Béring.
Dans l’esprit de beaucoup, le détroit de Béring, cette bande de 85 kilomètres de mer située entre les États-Unis et la Russie, a longtemps fait office de « pont terrestre », avant que la calotte glaciaire ne recule et que le niveau de la mer n’augmente. C’est en passant par ce pont qu’hommes et animaux venus d’Asie sont arrivés en Amérique, après avoir traversé la région aujourd’hui disparue de la Béringie qui s’étendait du Yukon à la Sibérie. Mais plus qu’un lieu de passage, des découvertes récentes montrent que pendant ses périodes émergées, la Béringie a accueilli pendant près de 10 000 ans différentes populations dont les descendants se trouvent aujourd’hui dans les régions entourant le détroit. C’est cette hypothèse de la Béringie, et donc le basculement de perspective (d’un lieu de passage à un lieu de vie avec ce que cela suppose en termes de culture et de mythes), qui est au cœur du roman de Jeremie Brugidou.
Le Pleistocene Park, le rêve écologique de Sergueï Zimov
À la fin des années 1980, le chercheur russe Sergueï Zimov, géophysicien spécialisé en écologie arctique et subarctique, poursuit un rêve fou : lutter contre le réchauffement climatique et la fonte du permafrost en restaurant l’écosystème de l’Arctique il y a une quinzaine de milliers d’année, à la fin du Pléistocène. Il donne naissance au Pleistocene Park, une zone fermée de 20 km2 située dans une réserve naturelle de la République de Sakha, en Russie, et qui abrite aujourd’hui huit espèces d’herbivores majeures: renne, cheval yakutien, orignal, bison, bœuf musqué, yak, vache et mouton kalmykiens.
À mesure que la fonte des glaces révèle les trésors enfouis du Pléistocène, elle libère quantité de corps intacts et scientifiquement exploitables et cette espèce de « Jurassic Park » écologique réactive de vieux rêves et est à l’origine d’une course génétique, celle de la réintroduction du mammouth, et autres fantômes du permafrost. Dans son roman, Jeremie Brugidou nous emmène quelques années dans le futur, dans un Pleistocene Park fictif, et imagine que ses personnages se promènent au milieu d’une faune tout droit sortie d’un musée d’histoire naturelle.
ActuaLitté vous propose de découvrir les premières pages de ce roman, avant sa sortie en librairie le 19 août 2021 :
Jeremie Brugidou est né en 1988 et vit à Bruxelles, Ici, la Béringie est son premier roman. Il est artiste-chercheur en esthétique et humanités écologiques, réalisateur et écrivain. Il a réalisé plusieurs films (BX46 en 2014 et Le Chant de la nuit en 2017, avec Fabien Clouette). Docteur en études cinématographiques, ses recherches portent sur la manière dont la fiction et l’image permettraient d’imaginer de nouvelles perspectives anthropologiques. Il pratique le thuy phap, un art martial vietnamien.
Dossier - Romans de la rentrée littéraire 2021 : parcourir les bonnes feuilles
Paru le 02/09/2021
194 pages
L'Ogre Editions
19,00 €
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