30.000 €, pas moins. Voilà le montant des dommages et intérêts que le tribunal judiciaire de Paris a sommé à feue l’Agessa d’indemniser, pour avoir porté préjudice à un artiste auteur. Un montant qui donnera le hoquet aux pouvoirs publics : de fait, quelque 200.000 personnes seraient concernées par les 40 années d’incurie de l’organisme. Rapide calcul : faudrait-il trouver 6 milliards € ?
Le 18/04/2024 à 18:50 par Nicolas Gary
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18/04/2024 à 18:50
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Il n’existait pas de « scandale Agessa », nuançait le Conseil permanent des écrivains. Tout au plus pouvait-on évoquer « l’affaire Agessa », ajoutait le SNAC qui sortait de sa torpeur dans une tribune mettant en cause ActuaLitté en mars 2021. La récente condamnation de la Sécurité sociale des artistes auteurs (anciennement Agessa) en obligera certains à se fouetter avec des ronces pour expier…
« On parle d’un scandale Agessa… il y a énormément de suspicion, d’accusations qui ont été faites sur les organisations, sur l’Agessa, sur les personnes, j’aimerais bien que ça, maintenant, ça cesse, parce que ça ne fait pas avancer le débat », avait affirmé Pierre-André Athané ancien président du Syndicat National des Auteurs et Compositeurs.
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Et de préciser que lui-même s’était bien volontiers épargné le paiement de cotisations retraite qu’on ne lui avait pas réclamées : « [J]e me suis dit bon ben voilà, j’aurai un peu moins de retraite, mais finalement, ça m’économise quand même des sommes qui étaient entre 3 et 5000 € par an. J’avais pas trop envie de les sortir, et les ai pas sortis, mais je le savais. »
Tout commence avec ce qu’il est désormais convenu d’appeler le scandale Agessa : cet organisme aura, durant près de 40 années, oublié de prélever les cotisations vieillesse. C’est son directeur, Thierry Dumas lors d’un entretien sur France 2 diffusé le 30 janvier 2020, qui l’avait reconnu. Depuis 1977, près de 200.000 artistes auteurs furent concernés et conséquemment, privés de leurs droits normaux à la retraite.
Cette incurie contraignit à réformer le système en transférant la collecte des cotisations l'Urssaf Limousin, afin de moderniser le recouvrement des cotisations.
Rapporteur du Projet de loi de financement de la sécurité sociale, avouait en 2018, un certain Olivier Veran, estimait que « cette mesure permettra de remédier aux limites actuelles des procédures de recouvrement qui s’avèrent préjudiciables pour les intéressés ». Bien avant de devenir ministre de la Santé, et d’écoper pour partie du dossier, il ajoutait que cela garantirait mieux « à l’avenir leurs droits sociaux en assurant correctement le recouvrement des cotisations sociales ».
Cette évolution fut approuvée en mai 2019… et actée en décembre 2022. Sauf que jamais ni la responsabilité de l’Etat ni celle de l’Agessa ne fut officiellement reconnue.
Sous couvert toutefois de ne pas léser celles et ceux qui n’avaient pas cotisé, un dispositif de rachat des cotisations fut mis en œuvre — la première circulaire le détaillant remonte à novembre 2016. Particulièrement attendue, en regard des appels délirants et inadaptés, une révision survint en 2022. Et un nouvel opérateur entrait en jeu : la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), supposée s'avérer plus diligente.
Charge lui incombait de fournir aux artistes auteurs le devis évaluant le rachat des cotisations. Les délais de traitement seraient raccourcis et tout rentrerait dans l’ordre. Mais là encore, c’est l’impéritie qui règne : soit les devis n’arrivent jamais, soit ils comportent de grossières erreurs… Les mêmes errances que celles déjà déplorées, ou comme le chante Britney Spears : « Oops!... I Did It Again. »
Dans ce contexte, certains courageux ont choisi la révolte et assigné feue l’Agessa en justice. Et l’un d’entre eux a obtenu gain de cause, dans une décision rendue ce 26 mars : cet écrivain relevait du régime de sécurité sociale des artistes auteurs entre 1996 et 2016, période durant laquelle aucune cotisation à l’assurance vieillesse n’a été appelée par l'Agessa.
En 2023, il a été contraint de racheter ses cotisations à un coût exorbitant, mais plutôt que de baisser les bras, il a réclamé réparation, pour divers préjudices.
La cour a en effet jugé que la Sécurité sociale des artistes auteurs avait commis une faute en omettant de collecter les cotisations vieillesse nécessaires et en manquant à son devoir d’information. Le plaignant n’y était pas allé avec le dos de la cuillère, demandant plus de 165.000 € de dommages-intérêts aux organismes concernés (ex-Agessa et CNAV).
ENTRETIEN – Scandale Agessa : entre omerta et petits arrangements
Les demandes de réparation contre la CNAV — arguant d’une absence de faute prouvée de sa part —, auront été rejetées de même que le plaignant fut débouté de la plupart de ses demandes. Y compris celle concernant le remboursement des cotisations rachetées et la compensation pour la pension de retraite de base qu’il aurait pu percevoir plus tôt.
En revanche, le tribunal a reconnu un préjudice lié à la perte de chance de bénéficier d’une retraite complémentaire et a accordé à l’écrivain 30.000 € de dommages et intérêts pour cela. À cette somme s’ajoutent 2500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais de justice.
Plus intéressant encore, les dépens ont été imposés à la Sécurité sociale des artistes auteurs, et l’exécution provisoire de la décision a été ordonnée. De la sorte, est définitivement actée la responsabilité de cette entité dans les manquements administratifs ayant causé un préjudice financier à l’écrivain.
Jointe par ActuaLitté, la juriste et directrice de la Ligue des auteurs professionnels, Stéphanie Le Cam se « réjouit de ce que le jugement s’appuie sur le Rapport Racine, qui pointait voilà quatre ans déjà, ce problème de cotisation ».
« Ce défaut de prélèvement qui s’expliquerait par les limites du système informatique illustre une grave défaillance de pilotage interne et de contrôle externe. Les conséquences sociales en sont dramatiques puisque les artistes-auteurs concernés qui, de bonne foi, pouvaient légitimement aspirer à percevoir une pension de retraite à proportion des cotisations qu’ils pensaient avoir versées se trouvent privés de droits correspondants. »
– Rapport Racine, pièce produite au débat par le plaignant
« Les organisations professionnelles dénoncent les cas de maltraitance administrative, notamment pour ce qui touche aux droits sociaux des artistes auteurs. Et personne ne semble s’en émouvoir. Mais quand un juge se penche sur ces questions, il donne raison au plaignant », ajoute-t-elle.
Et à l’attention de la nouvelle locataire de Valois, Rachida Dati, magistrate puis avocate depuis février 2010, la directrice note qu’il reste « bien des questions juridiques à traiter, que ce soit en matière de fiscalité, d’encadrement des contrats ou concernant l’IA. La nouvelle ministre sera peut-être sensible à la décision rendue… »
nouvelle ministre, juriste, encore un paquet de questions juridiques à traiter – fiscalité, éclairages attendus ; absence encadrement travail de créations ; application du droit en matière d’IA.
La représentante du Comité Pluridisciplinaire des Artistes-Auteurs et des Artistes-Autrices, Katerine Louineau, savoure littéralement les propos de la décision :
« Conformément aux dispositions de 1240 du Code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Ainsi, la faute commise par un organisme de sécurité sociale qui cause un préjudice à un assuré engage sa responsabilité extracontractuelle. »
– Décision du Tribunal Judiciaire de Paris du 26 mars 2024
« Lire enfin, comme nous n'avons cessé de le dire, que celui qui porte tort doit réparer, est très important, parce qu’à cette heure, aucune des personnes ayant subi les pratiques illégales de l’Agessa, donc de l'organisme de sécurité sociale des artistes auteurs, n’a obtenu de compensation », insiste-t-elle.
« Aujourd'hui l'Agessa est appelée SSAA, elle est désormais l'unique organisme agréé, et ce, bien qu'elle ait toujours manqué à sa mission concernant le recouvrement des cotisations. Au final comble de cynisme, les victimes de l'Agessa doivent elles-mêmes payer pour les dégâts. On marche sur la tête. »
Et d’espérer que « ce jugement à lui seul puisse faire comme une jurisprudence pour que tous les les artistes-auteurs spoliés de leurs droits à la retraite bénéficient enfin d’une compensation digne de ce nom. Avec sa circulaire de 2022, concernant le rachat des cotisations prescrites, le ministère de la Culture se cache derrière son petit doigt ».
On rira jaune en découvrant que ce même Thierry Dumas, directeur de l’Agessa confessant les négligences de son organisme en 2020, officie désormais comme directeur de la Sécurité sociale des artistes auteurs.
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
15 Commentaires
Yooooo
18/04/2024 à 19:49
Si j’ai bien compris l’article, des gens qui n’ont jamais cotisé à la retraite veulent acquérir des droits ? Ok c’est une erreur des caisses et ceux qui en sont responsables doivent être sanctionnés mais on demande maintenant au reste des français de payer cette erreur ?
Le système mis en place après la guerre a été le hold-up d’une génération sur les suivantes touchant de l’argent sans jamais avoir cotisé. Cela perdure et encore maintenant (et de plus en plus) les générations se déchirent sur la retraite. Les vieux coûtent cher et les jeunes ne bossent pas assez.
Ce système perdurera hélas jusqu’au sa faillite (ou celle de la France qui approche). Et forcément un jour, des gens qui ont cotisé n’ iront droit à rien pour payer les retraités de l’après-guerre.
Team ActuaLitté
18/04/2024 à 23:34
Bonjour
L'article n'indique pas que les Français devraient payer pour corriger les erreurs de l'Agessa.
Simplement qu'il y a eu un préjudice et que ce dernier devrait être réparé.
Le raccourci que vous proposez un peu hâtif...
Marie
19/04/2024 à 07:36
J'aime bien quand vous "corrigez" les mauvais lecteurs ou ceux de mauvaise foi. Vous devriez intervenir plus souvent, c'est "sain".
Team ActuaLitté
19/04/2024 à 10:57
Merci de votre retour : nous nous efforçons en effet d'être plus présents.
Heureux que cela soit apprécié.
Aradigme
19/04/2024 à 11:08
Bonjour Team Actualitté,
Pourriez-vous préciser votre mise au point? Si l'Agessa doit verser des sommes pour indemniser des personnes qui n'ont pas cotisé, où trouvera-t-elle cet argent? Elle peut l'obtenir de l'Etat, lequel se finance par les taxes et impôts qu'il lève sur les Français, directement (sur les personnes) ou indirectement (sur les entreprises), ou encore par l'emprunt (dont les intérêts seront en fin de compte aussi payés par les Français). Cet argent proviendrait donc in fine des Français. Mais peut-être l'Agessa dispose-t-elle d'une autre source de revenus que vous connaissez mais n'avez pas mentionnée. Dans ce cas, pourriez-vous la préciser?
Salutations
Aradigme.
Peter
19/04/2024 à 01:53
Mais pas du tout !!
Et vos commentaires sont de plus d’une bêtise sans nom !! RN ou LFI ??
My God !!
Marat
19/04/2024 à 11:00
Bah est-ce que c'est bien la peine de vous expliquer ? Vous êtes tellement convaincu d'avoir raison, et certainement que vous ne manquez de rien, du coup votre égoïsme manifeste est plus facile à vivre.
Quant au système par répartition que vous décriez, il est vrai que le système par capitalisation est tellement mieux : en cas de faillite d'un fond de pension, vous n'avez tout simplement plus de retraite.
Mais à vos yeux émerveillés d'admiration pour le capital, ça ne sera pas un hold-up dans ce cas, ce ne sera que la faute à pas de chance, n'est-ce pas ?
Yooooo
21/04/2024 à 20:05
Je ne voulais pas revenir commenter mais votre aveuglement m’y oblige.
C’est vrai, je ne manque de rien car cela fait longtemps que j’ai compris la vanité de vouloir toujours plus. Certes l’état a payé mes études supérieures mais je l’ai très largement remboursé depuis.
Je suis à mon compte, et je ne dois rien à l’état. Ce que je gagne, je lui en donne une grosse partie, et je l’accepte, pas volontiers, mais je l’accepte.
J’ai un PEA, qui n’a rien dessus. Je n’aime pas les fonds de pensions ou actions car le seul bon argent est celui que j’ai gagné grâce à mes mains et mon cerveau.
Pour la retraite, j’aurais préféré juste mettre sur un compte épargne ce que je cotise car il faudrait que je vive centenaire pour être bénéficiaire sur la durée.
Mais ainsi va la vie, certains pleurent et d’autres cotisent en espérant vivre assez vieux pour toucher leur retraite malgré le stress et les 50h de boulot.
clf
19/04/2024 à 23:09
Plutôt que de baver sur une décision de justice pour alimenter des rumeurs complotistes renseignez-vous et essayez de comprendre le problème : l'AGESSA a encaissé des cotisations d'auteurs et d'autrices pendant des années sans les identifier = l'argent est provisionné sans que l'on sache qui a versé quoi = l'AGESSA n'a pas fait le boulot qui permettrait aux bénéficiaires de savoir quels sont leurs droits.
florence Mothe
19/04/2024 à 09:18
L'AGESSA condamnée ? Quel bonheur! Enfin!, Mais c'est une preuve de l'existence de Dieu ! Le culot de l'Agessa - et de ses innombrables successeurs (à ce propos, où est l'Agessa ? Nulle part!)- n'avait pas de bornes. Selon le calcul de la Société des Gens de Lettres (qui était au Conseil d'administration de l'Agessa, mais, manifestement, se moquait de ses escroqueries comme d'une guigne), l'AGESSA me doit 55 000 € de retraite non payée. J'ai écrit des dizaines de fois à l'AGESSA. A toutes les adresses qui m'ont été indiquées au téléphone. Avec copie à tous les ministres qui, depuis Mme Bachelot et l'affaire d'Angoulême, prétendaient se soucier du sort des écrivains nécessiteux . J'ai envoyé quatre fois des dossiers d'expert-comptable prouvant les sommes dues. Je n'ai jamais eu aucune réponse. L'Agessa est condamnée, c'est bien fait. J'espère qu'on pourra aller chercher l'argent sur les biens propres de ses ex-dirigeants, naturellement innocents comme l'enfant qui vient de naître.
contradictrice
22/04/2024 à 20:18
Je ne comprends pas comment l'Agessa pourrait devoir 55 000 euros de retraite à quelqu'un.e qui n'a jamais cotisé pour ladite retraite.
Que l'Agessa n'ait pas fait son boulot en n'appelant pas les cotisations retraite à des auteurs qui atteignaient manifestement le seuil de droits d'auteur requis (dans les 9 000 euros actuels), c'est une évidence, mais il suffisait de s'informer a minima pour comprendre la différence entre auteurs affiliés (qui cotisaient pour la retraite) et auteurs simplement assujettis (qui payaient des charges sociales comme n'importe qui doit les payer, quelles que soient les sommes encaissées, et quelle que soit la nature des revenus). Beaucoup d'auteurs que je connais se sont satisfaits de ne pas s'affilier pour ne pas avoir à payer les cotisations retraite. Et d'autant plus lorsque se déclarer a impliqué de cotiser en plus pour la retraite complémentaire... ce qui faisait des sommes non négligeables à rembourser pour des auteurs pas franchement fortunés.
Alors que certains auteurs aient été naïfs au point d'imaginer que les cotisations sociales leur ouvriraient des droits à la retraite, ce n'est pas impossible, mais c'est loin d'avoir été le cas pour tout le monde.
clf
22/04/2024 à 23:14
Vous ne comprenez pas le problème 😂 Vous lisez les commentaires précédents ou non ? Vous vous êtes informé-e au sujet de ce problème dénoncé depuis plus de 20 ans ou non ? Bref, on en remet une couche 🥵 : l'AGESSA a encaissé des cotisations d'auteurs et d'autrices pendant des années sans les identifier = l'argent est provisionné pour des retraites sans que l'on sache qui a versé quoi = l'AGESSA n'a pas fait le boulot qui permettrait à des bénéficiaires de savoir quels sont leurs droits liés à leurs contributions = l'auteur X a bien versé des cotisations mais l'AGESSA n'a pas tenu correctement ses comptes, du coup l'AGESSA n'est pas capable de dire que X a versé des cotisations pour sa retraite. Je suis désolé 😁 mais il va falloir lire pour être mieux infirmé-e : http://caap.asso.fr/spip.php?mot40 ; courage 👍
Nimp
23/04/2024 à 14:52
Etant auteur, je confirme que mes éditeurs m'ont bien prélevé des cotisations qui ont été versées à l'agessa MAIS ces cotisations ne comportaient pas la cotisation retraite ! J'ai payé mes cotisations retraite directement auprès de l'agessa.
contradictrice
23/04/2024 à 16:29
Cher clf, je lis, justement. Je ne me ferai surtout pas l'avocat du diable (l'Agessa, en l'occurrence),mais je ne comprends toujours pas comment vous pouvez prétendre que des auteurs qui ont été prélevés pour la retraite n'ont pas pu faire valoir ensuite ces droits pour leur retraite.
J'ai quand même l'impression que vous confondez versement des cotisations sociales (anciennement simples assujettis), et versement des cotisations retraite, qui ne s'effectuaient qu'après une démarche volontaire de l'auteur ou de l'autrice (affilié.e, du coup). Laquelle entraînait à son tour les versements obligatoires pour la retraite complémentaire, via l'IRCEC.
Que l'Agessa soit coupable de ne pas avoir appelé de cotisations retraite à des auteurs qui pouvaient y prétendre, c'est une évidence, mais prétendre aujourd'hui que n'importe quel auteur n'ayant pas cotisé pour la retraite pourrait en bénéficier, ça me semble étonnant.
Fab
19/04/2024 à 15:12
Bref, pour faire valoir ses droits, il va falloir des moyens financiers... que les auteurs n'ont pas dans cette situation.